Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une nouvelle garantie, et la plus notable à coup sûr : cette magistrature, n’est-ce pas le jury même ?

En esquissant ainsi à grands traits ces premiers aperçus, je n’ai guère que retracé l’histoire même de nos lois. J’en fais la remarque avec un certain orgueil, et surtout en grande paix de conscience. N’est-on pas en effet en droit de se demander si, lorsque la peine de mort est prononcée sous l’influence directe de ces garanties si nombreuses et si diverses, il n’en résulte pas une présomption suffisante non-seulement de la justice de la sentence, mais encore de sa nécessité ? Ne peut-on pas, à meilleur droit encore, se demander si cette présomption n’acquiert pas, pour tout homme d’un sens droit et de bonne foi, un irrésistible degré de certitude lorsque le jury en n’admettant pas les circonstances atténuantes, le chef de l’état en n’exerçant pas le droit de grâce, ont itérativement reconnu, chacun à part soi et à un point de vue différent, que, dans le cas donné, l’application de la peine dans toute sa rigueur importe essentiellement à la sécurité publique ?

Notre loi criminelle, où se combinent ainsi dans une très juste mesure la défense de l’intérêt social et le respect de la vie humaine, me paraît donc résumer très sagement, en les plaçant à une immense distance de leur point de départ, les véritables progrès de la civilisation en ce qu’ils ont de meilleur et de plus tutélaire, progrès d’ailleurs tellement marqués, surtout dans ces derniers temps, qu’on a vu les condamnations capitales, qui en 1854 étaient de 79, descendre en 1862 au chiffre de 31, — de 31 à 20 en 1863, et enfin à 9 en 1864 ; encore pour celles-ci y a-t-il eu quatre commutations à titre de grâce.

Mais voici que l’on s’empresse de dire que cette très notable diminution s’explique par une diminution correspondante dans le nombre des crimes atteints par cette peine ; soit, j’ajoute seulement que la diminution de ces crimes ne peut s’expliquer à son tour que par l’effet même de la puissance d’intimidation de la peine qui leur est applicable : résultat d’autant plus naturel et d’autant plus obligé, dirai-je encore, que cette intimidation s’exerce dans un milieu où le sentiment à peu près exclusif de l’amour de soi, le goût effréné du bien-être, la passion sans contre-poids des jouissances matérielles, prédominent davantage. Or n’est-ce point là l’état même de notre société aujourd’hui, et n’est-il pas trop visible qu’elle se meut dans ces conditions de faiblesse et de langueur qui tendent sans cesse à amollir les âmes et à énerver les caractères ? Je le crois fermement, et c’est pour cela qu’à mon sens il n’est rien de plus simple et de plus naturel que de voir s’éteindre dès lors pour le mal comme pour le bien, dans le mouvement des passions humaines,