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est le livre d’Hérodote ou la décade de Tite-Live qui porte aussi profondément un caractère de bonne foi et de véracité que les récits de saint Matthieu et les souvenirs de saint Jean ? Ne vous prenez pas corps à corps avec ces deux apôtres, ces cœurs simples et droits qui disent franchement ce qu’ils ont vu de leurs yeux et entendu de leurs oreilles. Si vous, qui n’étiez pas là et qui n’avez rien vu, vous vous croyez le droit de leur faire la leçon, de leur dire, en vertu de vos lois scientifiques, comment, à leur insu, tout a dû se passer, et par quel art, quel subterfuge, leur adorable maître les a pendant deux ans pieusement mystifiés, sachez bien quel danger vous attend : ce ne sont pas seulement les orthodoxes, les fidèles qui se révolteront et vous crieront : Haro. Du milieu de vos rangs, du sein de vos amis, des contradicteurs moins suspects, des voix plus redoutables, de libres penseurs s’il en fut, mais sincèrement perplexes et profondément honnêtes, vous donneront aussi d’absolus démentis[1].

Après tout, supposons qu’ils se trompent, et que le héros de ce grand drame ne soit vraiment qu’un thaumaturge habile, qu’y gagnez-vous ? Êtes-vous pour cela délivré des miracles ? Vous avez au contraire un miracle de plus, et bien autrement grand que tous les autres : il vous faut expliquer ce fait inconcevable, que la plus transcendante critique est impuissante à supprimer, l’établissement du christianisme dans l’empire romain. Prenez l’Évangile à la lettre, acceptez sans réserves ces faits surnaturels, ces guérisons, ces exorcismes, ces élémens pacifiés, ces lois de la nature violées ou suspendues ; ce n’est pas trop, ce n’est presque pas assez pour rendre intelligibles les progrès triomphans d’une telle doctrine dans un tel temps, dans une telle société. Il ne fallait pas moins que le souffle des miracles pour ébranler ainsi le monde, renverser toutes les idées reçues, changer de fond en comble l’état moral et social des peuples, et leur ouvrir des horizons non pas seulement plus larges et plus purs, mais absolument nouveaux. — Si donc vous dites vrai, si cette immense révolution repose sur une comédie, s’il faut tenir pour faux ces miracles partiels qui entourent et expli-

  1. « L’âme humaine, comme on l’a dit, est assez grande pour renfermer tous les contrastes. Il y a place dans un Mahomet ou un Cromwell pour le fanatisme à la fois et la duplicité, pour la sincérité et l’hypocrisie. Reste à savoir si cette analogie doit être étendue au fondateur du christianisme. Je n’hésite pas à le nier. Son caractère, à le considérer impartialement, répugne à toute supposition de ce genre. Il y a dans la simplicité de Jésus, dans si naïveté, sa candeur, dans le sentiment religieux qui le possède si complètement, dans l’absence chez lui de toute préoccupation personnelle, de toute fin égoïste, de toute politique, il y a en un mot, dans tout ce que nous savons de sa personne, quelque chose qui repousse absolument les rapprochemens historiques par lesquels M. Renan s’est laissé guider. » — M. Edmond Scherer, Mélanges d’histoire religieuse, p. 93-94.