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elle, cette merveilleuse faculté, cette lumière de la science ? pas, autre chose que de nous mettre en face de l’abîme inconnu fermé à nos regards. Elle nous le montre en perspective, nous en fait assez voir pour nous, convaincre qu’il existe pas assez pour que nous en sachions rien d’exact ni de précis, rien de pratique ni d’expérimental, rien de scientifique en un mot. L’invisible fini, c’est-à-dire l’âme humaine, le domaine du moi humain, la science peut l’atteindre ; l’invisible infini, l’âme suprême et créatrice, lui échappe absolument. Or c’est tout justement cette sorte d’invisible qu’il s’agirait de pénétrer et de connaître à fond, si l’on devait jamais scientifiquement résoudre les grands problèmes qui touchent à notre destinée. Il est donc impossible, c’est plus qu’une illusion, c’est un non-sens, à notre avis, d’attendre de la science humaine la solution de ces questions.

Est-ce à dire que la philosophie, car c’est d’elle qu’il s’agit ici, soit impuissante à nous parler des problèmes naturels ; qu’elle n’ait rien à nous dire de notre destinée, de nos devoirs, de nos espérances ? Non certes. Elle a qualité, elle a droit de traiter ces questions ; de les traiter, entendons-nous, non pas de les résoudre ; Le plus hardi spiritualisme, dans son plus noble élan, ne peut franchir l’abîme ; il en peut seulement éclairer les abords. Notre tâche, après tout ! Une saine philosophie, qui s’abstient de vaines hypothèses, qui donne ce qu’elle peut donner, la preuve manifeste qu’un ordre invisible existe, que derrière ces mystérieux problèmes il y a des réalités, qu’ils nous inquiètent à bon droit, que nous avons raison de vouloir les résoudre, ce n’est là ni un stérile savoir ni pour le genre humain un médiocre secours. Aussitôt que le spiritualisme devient florissant quelque part, ne fût-ce que dans un groupe de généreux esprits, le parfum s’en répand, et peu à peu, de proche en proche, tout un peuple en ressent l’influence, toute une société se ranime, s’épure, s’élève, s’ennoblit. Aussi la religion ne craignons pas de le lui dire, est-elle mal conseillée et manque-t-elle de prudence non moins que de justice lorsqu’au lieu d’accepter le concours du spiritualisme, de l’accueillir comme un auxiliaire naturel, de voir en lui une sorte d’avant-garde qui lui prépare les esprits et lui aplanit les voies, elle le tient à distance presque avec jalousie, le combat, le harcèle, le prend entre deux feux, lui prodiguant le même blâme, les mêmes sévérités qu’aux doctrines les plus perverses et aux plus aveugles erreurs. Sans ces regrettables méprises, peut-être ne verrions-nous pas certaines représailles, certains excès de confiance, certains oublis de ses propres limites, que le spiritualisme n’évite pas toujours, car s’il convient d’être juste envers lui, on n’a pas tort non plus de le tenir en bride.