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quoi chercher hors de nous-mêmes d’aventureux secours, d’inexplicables révélations ? Tout le monde, il est vrai, ne peut pas être savant, mais tout le monde croit à la science. Pour peu qu’elle exhibe ses preuves, les plus rebelles sont forcés de se rendre. Point de schisme chez elle, point d’hérésie durable. Si parfois les savans se querellent, ce qu’ils font aussi bien, presque mieux que les autres hommes, le holà est bientôt mis entre eux : on prend une cornue, un microscope, une balance, on analyse, on pèse, on mesure, on compare, et voilà le procès terminé ; jusqu’à de nouveaux faits, l’arrêt est souverain. Quelle admirable perspective s’ouvre donc à l’humanité, si ces questions occultes qui la troublent, la science désormais les éclaircit et les résout, si par l’action du temps, par la loi du progrès, nous possédons enfin un moyen si commode de mettre fin à nos perplexités, si le fruit du divin savoir, l’ancien fruit défendu, nous pouvons maintenant le cueillir sans péril, et sans déchoir nous en rassasier !

Par malheur, tout cela n’est qu’un rêve. D’abord l’autorité de la science n’est pas, il s’en faut bien, toujours incontestée. Selon les sujets qu’elle traite, elle a plus ou moins de crédit. S’agit-il des choses naturelles, physiques, mathématiques, point de difficulté, ses décisions font loi ; est-ce au contraire hors du monde visible, dans l’intérieur de l’âme qu’elle porte ses regards, d’interminables controverses s’élèvent aussitôt : on lui conteste jusqu’à son droit de s’appeler science ; on veut ne voir en elle qu’un art conjectural, et la moitié du temps son principal effort consiste à démontrer qu’elle a droit d’être crue. Or c’est précisément à ce genre de science qu’ici nous avons affaire. Les questions dont l’homme se tourmente ne sont pas des problèmes d’algèbre ou de chimie, ce sont d’autres mystères, des secrets du monde invisible. Ainsi ne comptez pus sur les solutions sans réplique que vous espériez tout à l’heure ; la science dans ces régions de la métaphysique n’a rien de tel à vous offrir.

Peut-elle au moins s’y donner carrière en liberté et sans limite ? Non, une barrière infranchissable l’arrête et l’emprisonne aussi bien dans le champ de l’invisible qu’au sein de la nature physique et matérielle. Toute science, quelle qu’elle soit, a pour terme fatal l’étendue des choses finies. Jusqu’à cette limite, tout tombe sous sa prise ; au-delà, tout lui échappe. Et peut-il en être autrement ? Produit de notre esprit, qui lui-même est fini, comment la science humaine serait-elle autre chose que l’éclaircissement du fini ? L’induction, il est vrai, nous transporte d’un bond à l’extrême frontière de ce monde, au seuil de l’infini pour ainsi dire, et les données de l’induction sont à bon droit réputées scientifiques ; mais que fait-