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sont de vraies paysannes, et cependant elles ont un style grandiose qui en fait d’admirables personnages. Malgré leur, réalité, elles sont épiques, et l’on sent à les voir que leur tâche est aussi grande, aussi noble que celle de qui que ce soit. Le temps n’est plus où La Bruyère pouvait écrire : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus dans la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre, qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible. Ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine. Et en effet ils sont des hommes !… » En effet, aujourd’hui ils ne sont plus seulement des hommes, ils sont égaux, et c’est ainsi que M. Breton les a compris. Nos institutions sociales se sont enfin mises d’accord avec l’histoire naturelle. Si M. Breton reproduit souvent les mêmes effets de lumière, il ne varie peut-être pas assez les types qu’il représente : ainsi je retrouve sa Gardeuse de Dindons de l’an dernier dans cette belle faneuse assise qui offre sa large poitrine à l’avidité de son enfant. C’est tourner un peu trop dans le même manège et se condamner inutilement à des répétitions qu’on pourrait facilement éviter. Ces deux observations une fois faites, nous n’avons plus à offrir à M. Breton que nos louanges les plus sincères. La Fin de la journée représente des faneuses qui ont terminé leur travail ; elles se reposent, appuyées sur le manche des râteaux et des fourches, couchées sur l’herbe, assises près des meules. Les lueurs dernières du soleil couchant colorent leur visage sérieux et fatigué ; au loin, on aperçoit les maisons d’un village. En regardant ce tableau intime et pénétré d’une poésie profonde, on se rappelle involontairement les vers de l’églogue :

Et jam summa procul villarum culmina fumant,
Majoresque cadunt altia de montibus umbræ.

C’est là le propre des œuvres qui appartiennent réellement à l’art de réveiller les souvenirs endormis et d’avoir un cachet d’universalité qui agrandit singulièrement l’horizon où elles se meuvent. Chacun sait avec quelle habileté M. Breton manie le crayon et le pinceau ; il serait donc superflu d’en parler. La Lecture a des qualités de facture qui sont peut-être supérieures encore à celles qu’on remarque dans la Fin de la journée. Une jeune fille vue de profil fait la lecture à un vieux paysan assis contre les hauts chambranles d’une cheminée. Le visage, la nuque, le cou de la jeune fille sont de la très haute peinture, et je regrette que le tableau tout entier n’ait pas été traité avec ce souci extraordinaire de la forme et de la beauté. Telle, qu’elle est néanmoins et malgré certaines négligences de brosse très légères, cette toile est égale, sinon supérieure, à bien