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falloir lui passer la corde autour du cou. L’opposition des deux personnages a été très bien comprise et rendue à souhait par M. Kaplinski. Ces deux hommes sont absolument dans la sincérité de leur rôle, l’un en mourant pour sa patrie, l’autre en pendant le vaincu ; l’esprit est d’un côté, la matière est de l’autre ; la défaite a un cerveau, le triomphe n’a que des muscles. L’impression est profonde et saisit dès l’abord. L’harmonie même de la toile est en rapport exact avec la composition. La teinte générale, grise et noire, relevée de tons rouges, est d’un effet triste très habilement approprié au sujet. L’exécution est bonne, les têtes ont un vif relief ; les mains, cette pierre d’achoppement de tant d’artistes, ont été traitées avec un soin minutieux qui indique de fortes études et une très attentive observation de la nature. Il y a quelque temps déjà que M. Kaplinski lutte sans relâche pour atteindre le rang auquel il monte aujourd’hui ; chacune de ses compositions a constaté un progrès. S’il continue à marcher courageusement dans la voie où il ne s’est pas lassé d’avancer, il est certain d’y rencontrer des succès durables et la récompense de ses travaux antérieurs. Le Portrait en costume polonais du seizième siècle se recommande aussi par un très ferme modelé et par une coloration à la fois sobre et très chaude ; les mains y sont encore plus belles peut-être et exécutées avec un soin plus recherché que celles des personnages du tableau dont j’ai parlé. —M. Rodakowski expose aussi un fort beau portrait, peint avec la solidité à la fois large et serrée qui est habituelle à cet artiste. Les noirs et les rouges du vêtement et de la coiffure sont traités avec une harmonie très savante ; si le visage n’était un peu trop fouaillé, je n’aurais que des éloges à donner à cette toile, où l’on retrouve toutes les habiletés de faire, de couleur et de dessin qui valurent, en 1852, un si imposant succès au portrait du général Dembinski.

Je ne puis abandonner la peinture d’histoire sans parler de M. Schreyer, qui prend dès aujourd’hui parmi les artistes modernes un rang dont son pays a le droit d’être fier. Sa Charge de l’artillerie de la garde à Traktir est un tableau plein de feu, de mouvement et d’observation. La large harmonie baie brune des chevaux donné le ton général à toute la composition, qui se déroule dans une action à la fois violente et précise. Un canon, enlevé au galop de six chevaux, tourne sur une route pleine de poussière, route ouverte au hasard, à travers champs, parmi des arbustes demi-brisés sous le poids des roues. Le canonnier conducteur des chevaux de timon vient d’être frappé de mort, il s’affaisse lourdement sur lui-même par une sorte de mouvement de tassement admirablement rendu ; il a lâché les guides de son porteur, qui, blessé lui-même, a, en se