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qui fait le fond du sujet. Ardent et rapide comme un vainqueur aux jeux d’Olympie, un jeune homme s’élance en courant. Il tient à la main les belles fleurs du printemps si vite fanées, les narcisses, les pâquerettes, les anémones, et dans son orgueil, dans sa folie, dans son imprudente confiance en la vie, il va poser lui-même sur son propre front la couronne d’or des triomphateurs. Cependant une teinte livide a blêmi sa face, une angoisse indéfinissable agrandit ses yeux ; le sang, dirait-on, ne circule plus sous cette peau maté et pâle que soulève le jeu des muscles en mouvement. Aura-t-il le temps de ceindre sa tête du laurier victorieux ? Il touche au but ; le voilà : pourra-t-il l’atteindre ? Non. La mort est derrière lui : elle est endormie, il est vrai ; mais au dernier grain qui tombera dans le sablier le jeune homme tombera aussi pour ne se relever jamais. S’il est une allégorie vraie au monde, c’est celle-là, et quoique M. Moreau l’ait rendue d’une façon un peu obscure, elle n’en est pas moins suffisamment expliquée. Sa Mort n’est point hideuse ; « celui qui meurt jeune est aimé des dieux. » Ce n’est point l’horrible camarde à laquelle nous sommes trop accoutumés ; c’est une belle jeune femme triste et pensive, qui incline son front chargé de violettes et de pavots, et qui porte en elle l’attrait mystérieux qui la fait aimer. M. Moreau lui a donné l’attitude charmante que la théogonie hindoue a consacrée pour Vichnou Narâyana lorsque, porté sur les replis du serpent Ananta au sein des eaux tranquilles, il rêve en contemplant le lotus brahmanique qui s’élance de son nombril sacré. Nulle pose ne pouvait être plus nonchalante, plus mélancolique et plus noble. Cette mort ne porte point la faux traditionnelle qui nous abat comme une herbe mauvaise, elle est armée du glaive aigu, si bien orné qu’il ressemble à un bijou, si tranchant qu’il doit enlever la vie sans apporter la souffrance. L’opposition des deux personnages, l’un immobile, alangui par le repos, l’autre en pleine activité et lancé à toute puissance, a été bien étudiée et parfaitement rendue. L’aspect de la coloration est froid, comme il appartenait à un sujet pareil. Un oiseau éclatant de couleur, bleu, noir, violet, blanc, les ailes rouge ardent d’un amour qui va éteindre une torche servent pour ainsi dire de repoussoir au coloris général, et ne sont pas inutiles pour lui donner ce ton livide et glacial qui saisit au premier regard. Le mouvement du jeune homme est excellent : il court, l’épaule droite effacée, la jambe gauche en avant, la poitrine élargie par le souffle plus rapide ; mais, à le voir, on sent que c’est un dernier effort, déjà l’œil est hagard, il va tomber.


Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus !


Je voudrais m’arrêter là et n’avoir que des éloges à donner à