Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils ne faisaient, car forcément nous devons en savoir plus qu’eux. Burton a écrit : « Les anciens étaient des gens de science et de philosophie, soit, je veux l’admettre ; mais, à l’avantage des modernes, je dirai avec Didacius Stella : Un nain sur les épaules d’un géant peut voir plus loin que le géant lui-même. » Cette maladie d’imitation quand même est vieille comme le monde, et déjà dans son temps Marc-Aurèle pouvait écrire : « Il ne faut pas recevoir les opinions de nos pères, comme le feraient des enfans, par la seule raison que nos pères les ont eues. »

Je crois que, si les artistes pouvaient se dégager de certaines admirations trop exclusives, ils y gagneraient une indépendance d’allure, qui leur fait défaut aujourd’hui. Cette admiration servile peut nuire à leur talent, le voiler pour ainsi dire, et l’empêcher de développer tous ses moyens. Il y en a parmi eux qui en arrivent à imiter des tableaux vus à travers la patine noirâtre et regrettable que le temps et les vernis chancis leur ont donnée. Je prendrai pour exemple M. Ribot. Certes son talent n’est pas contestable ; peu d’hommes possèdent une habileté matérielle égale à la sienne ; sa brosse a d’enviables fermetés. Il peint d’une façon magistrale et certaine qui est faite pour plaire, son modelé est excellent, et l’on peut, malgré ses défauts de surface, reconnaître en lui les qualités d’un coloriste de premier ordre ; mais pourquoi son admiration mal raisonnée pour Ribeira le pousse-t-elle à des excès de colorations noires que. rien ne peut justifier ? Ses tableaux ressemblent à des toiles du maître espagnol qu’on aurait, pendant cinquante ans, oubliées dans la boutique d’un charbonnier. Il en sera des tableaux de M. Ribot ce qu’il en est des tableaux de Valentin, ils seront indéchiffrables. Le noir est une couleur persistante, très dangereuse, qui a une tendance fatale à envahir et à noyer les nuances qui l’avoisinent. Tous les tableaux que Valentin a peints jadis sur fond noir pour leur donner immédiatement un relief plus accentué sont aujourd’hui brouillés, méconnaissables, plaqués de larges taches, dévorés dans leurs contours et leur coloration. Je signale ce danger à M. Ribot ; il est sérieux, il est redoutable. Dans vingt ans, plus tôt peut-être, son Saint Sébastien, dont la gamme sombre des personnages est encore glacée de noir, ressemblera à ces plaques daguerriennes primitives qu’on ne savait comment examiner dans leur vrai jour. M. Ribot voit noir, ceci n’est point douteux, absolument comme le Parmesan voyait blond. C’est un défaut, un très grave défaut, qu’il lui est facile de reconnaître et de corriger lui-même. Le concert qu’il a intitulé une Répétition est exécuté de la même manière, avec la même habileté grave et forte, mais aussi avec la même coloration déplorable. On dirait que, le tableau terminé,