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vérité et de l’histoire, parmi ceux qui sont assez bien doués pour voir dans un tableau autre chose qu’un motif à colorations agréables ou à lignes imposantes ? Je l’espère plus que je ne le crois. Un exemple, si bon qu’il soit, est rarement fertile en France, lorsque pour le suivre et s’y conformer il faut entreprendre des études nouvelles et renoncer aux douceurs paresseuses d’une tradition qu’on entoure de respects d’autant plus grands qu’il est plus commode de ne point s’en écarter. Quoi qu’il en soit, le Départ de l’Enfant prodigue et Paix à cette maison (saint Luc) sont une tentative très généreuse et très hardie dont il convenait de faire ressortir la gravité exceptionnelle. Ce ne sont pas seulement deux très beaux dessins, on sait que M. Bida est coutumier du fait ; c’est l’essai d’une révolution attendue depuis longtemps par ceux qui s’étonnent que la peinture historique ait été depuis tant d’années le travestissement systématique de l’histoire. La draperie des vêtemens orientaux est aussi belle, aussi abstraite que celle des toges romaines ; les types de la race sémitique sont aussi beaux et offrent autant, sinon plus de ressources, que ceux des modèles de la Piazza-di-Spagna ; les paysages de la Palestine et de la Syrie ont des aspects aussi variés et autrement grandioses que la campagne de Rome et les montagnes de la Sabine. Il me semble qu’en entrant courageusement dans la voie nouvelle ouverte par M. Bida, les artistes trouveront des forces qu’ils ne soupçonnent pas et qu’on aura fait faire un grand progrès à la peinture historique. L’histoire, l’archéologie, la philologie, la critique, l’étude de la nature, ont fait des pas de géant depuis le XVIe siècle : pourquoi la peinture resterait-elle stationnaire, et pourquoi se refuse-t-elle obstinément à profiter des documens que la science s’épuise en vain à mettre à sa portée ? On dit : Les maîtres ont fait ainsi. Soit ; mais s’ils revenaient, ils feraient autrement, soyez-en certains. Ils étaient dans la science historique de leur époque, ils faisaient consciencieusement ce qu’ils croyaient être la vérité ; en les imitant jusque dans les fautes d’ignorance qu’ils ont involontairement commises, nous n’avons aucune excuse à invoquer, et nous nous rendons sciemment coupables d’erreurs grossières qui donneront singulièrement à rire à nos petits-enfans.

Il est utile de conserver la tradition, je le sais et ne l’ai jamais contesté, mais à la condition d’ajouter chaque jour un anneau à la chaine et de la conduire insensiblement ainsi jusqu’à nos jours ; c’est seulement de cette manière qu’elle peut rester la tradition, et cependant avoir été améliorée par les découvertes successives que la science ne cesse de faire. Il est bon d’imiter les maîtres, je n’en disconviens pas non plus, mais à la condition de faire mieux