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la lourdeur du coloris et l’exagération des attitudes. Il y a donc lieu de regretter que M. Delaunay ait été emporté, à son insu sans doute, vers l’imitation de ces maîtres inférieurs. J’aurais voulu qu’il choisît des exemples plus sévères, plus châtiés, visant plus haut. Ce qu’il a besoin d’étudier avant tout, ce sont les dessinateurs, ceux qui ont compris et prouvé que la ligne, c’est-à-dire la forme, est l’œuvre mère et, pour ainsi dire, l’armature d’un tableau. Avec la couleur, on peut produire une certaine illusion, abuser facilement, escamoter même un certain succès de vogue ; avec la ligne, on ne le peut jamais. M. Ingres a dit une fois : Le dessin, c’est la probité ; nulle parole n’est plus vraie. C’est vers l’étude assidue de la ligne que j’engage M. Delaunay à se tourner. S’il veut bien regarder impartialement la main qui relève les cheveux de sa petite Vénus, il comprendra que mon conseil n’a rien de superflu.

M. Bida, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, s’est jeté absolument hors de la tradition reçue, et je ne saurais trop l’approuver. Quand on est, comme lui, en possession de son instrument, quand on est un maître du crayon, il est d’un bon exemple de sortir des voies battues et de tenter les routes nouvelles. Ayant à interpréter deux scènes tirées des Évangiles, il a mis de côté la vieille défroque des draperies de convention ; il a pensé avec raison que les Juifs du temps de Jésus n’étaient point positivement vêtus comme des sénateurs romains ; il a, sans bien longues réflexions, compris que la race sémitique, à laquelle appartenaient tous les héros du Nouveau Testament, était essentiellement différente de celle de Japhet. Il a pu se convaincre par lui-même que l’Orient est le pays de l’immobilité ; il a vu, par comparaison, que les costumes, les usages, les mœurs décrits dans la Bible étaient les mœurs, les usages, les costumes d’aujourd’hui. Une lecture attentive des Écritures saintes lui a prouvé que, sauf les imprécations des prophètes et les plaintes des psaumes, elles ne contenaient que des récits familiers où l’épopée ne tenait aucune place ; il s’est demandé sans doute si jusqu’à présent on ne s’était pas trompé en reproduisant indéfiniment les personnages que les peintres de la renaissance avaient consacrés ; il a été honteux de voir l’art qu’il honore par son talent tourner toujours dans le cercle étroit d’une servile et trop commode imitation, et, rompant en visière avec les us absurdes où la paresse naturelle aux Français nous a retenus si longtemps, il a résolu de représenter les différentes scènes de la Bible en s’appuyant sur les textes, sur la tradition locale, sur l’étude du pays et l’observation de ses différens types. Un tel projet peut paraître ambitieux, mais les deux magnifiques dessins exposés aujourd’hui affirment hau-