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est bon de noter. Je n’affirmerais point que l’enfant qui a servi de modèle au Saint Jean ne soit pas le même qui ait posé pour le Joueur de luth ; il me semble reconnaître dans la bouche et dans les yeux des traits que j’ai vus déjà, et qui, par leur accentuation même, ne peuvent échapper au souvenir. Ceci n’est même pas une critique, c’est une remarque, car il y a dans l’attitude générale et dans le faire des deux statues des différences essentielles qui indiquent des études dirigées par une excellente volonté. À proprement parler, le sujet appartient plutôt à la peinture qu’à la sculpture : ce n’est qu’une statuette, mais elle est charmante ; on dirait qu’en la modelant le sculpteur écoutait les conseils de Donatello. Ce n’est pas un pastiche cependant, quoique cette œuvre soit inspirée par des réminiscences de la fin du XVe siècle. Le petit personnage, élégant et svelte, serré dans des vêtemens collans qui dessinent sans l’alourdir l’aimable gracilité de sa jeunesse, est debout, porté sur la jambe droite ; il chante, les yeux baissés, en regardant son luth. Son épaisse et forte chevelure, s’échappant de son toquet, donne un caractère grave et concentré à sa physionomie. Les yeux légèrement renfoncés sous l’arcade sourcilière, la fermeté des lèvres, la saillie des pommettes, indiquent un portrait copié sur nature et modifié selon les besoins de l’expression que l’artiste cherchait ; les mains, à la fois fines et osseuses comme celles des enfans qui vont entrer dans l’adolescence, sont traitées d’une façon remarquable ; point de duretés aux emmanchemens du poignet, point d’angles désagréables au coude ; tout a été étudié, corrigé et rendu avec soin. Les lignes ont une sobriété magistrale qui est évidemment le résultat d’une idée simple fortement conçue. Tout en donnant beaucoup à l’élégance, M. Dubois a su ne point tomber dans l’afféterie, ce qui est un écueil où bien d’autres, et des meilleurs, ont succombé. Le Joueur de luth fait bien ce qu’il fait ; il est là pour chanter et non point pour se faire voir : il n’a rien de théâtral, rien de poncif ; il est naturel en un mot, il ne pose pas, et c’est là le plus vif éloge qu’on puisse adresser à une statue. Le Joueur de luth est, je le reconnais, d’un art moins élevé que le Saint Jean, mais il est plus délicat ; il y a là une nuance qui n’a point échappé à M. Dubois, et dont il faut lui tenir compte. Il a compris très nettement la différence des personnages, et a su la rendre avec une sûreté de main peu commune. Le Saint Jean était un petit illuminé, un mystique inspiré qui marche à grands pas, poussé par une mission qui le domine et le chasse en avant ; le Joueur de luth au contraire est plein de grâce : s’il écoute une voix, c’est celle de l’instrument qui vibre sous sa main ; il est jeune, il est vivant, très capable encore de sauter à la corde ou de balbutier, en devenant rouge comme une cerise, sous le regard d’une femme. À le contempler