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tandis que le haut clergé catholique combat avec son chef pour un lambeau de terre en Italie, il oublie qu’il existe en Orient de vastes terres à conquérir et des populations malheureuses et grossières à instruire et à consoler. Ces indigènes forment plus de la moitié de la population totale de l’Inde ; presque tous sont compris dans les castes les plus infimes. Ils sont, pour être convertis, dans une condition plus favorable peut-être que les Francs de Clovis, car ceux-ci devenaient par la conquête maîtres et seigneurs d’une partie des Gaules ; les indigènes de l’Inde peuvent trouver dans le christianisme un asile contre la servitude, un retour à la dignité d’homme et une promesse pour la vie future. Cependant il ne faudrait pas prêcher au hasard, comme le font beaucoup de membres de sociétés bibliques ; les conversions doivent se faire avec méthode en commençant par le dernier des paryas et des chandâlas, qui n’a rien à perdre et qui a tout à gagner en se faisant chrétien. Ces castes immondes étant supprimées par la conversion et les hommes qui les formaient rendus à une vie meilleure, celles qui sont au-dessus, devenues les dernières et n’ayant plus à déchoir, seraient attaquées à leur tour et gagnées à la civilisation d’Occident. Ainsi, par une marche méthodique, les idées chrétiennes remonteraient la hiérarchie des castes et la décomposeraient dans l’ordre inverse de celui où elle s’est formée. Si les chrétiens d’Occident qui vont catéchiser les Orientaux et si ceux qui d’Europe dirigent les missions se donnaient la peine d’étudier l’Orient dans les livres sanscrits et palis, ils verraient que le bouddhisme n’a dû ses succès rapides qu’à l’emploi de cette méthode, que si, après plusieurs siècles de domination, il a péri dans l’Inde, c’est lorsqu’il s’est trouvé face à face avec la puissance brahmanique. On reconnaîtrait en même temps que, malgré ses revers, le bouddhisme a laissé dans la presqu’île, sans compter le Népal, des générations nombreuses de fidèles et toute cette classe d’hommes aujourd’hui connue sous le nom de Jœnas. Alors, il est vrai, la puissance brahmanique dominait seule et sans contre-poids ; aujourd’hui la puissance suprême dans l’Inde est européenne et chrétienne.

Il arrive déjà pourtant que la civilisation chrétienne se rencontre avec le brahmanisme dans les hautes classes de la société indienne ; c’est ce qui a lieu surtout dans les grands centres, à Calcutta, à Patna, à Bénarès même, à Laknau, à Delhi et jusqu’à Lahore, dans toute la région occupée par les Aryas depuis les temps védiques. C’est aussi dans cette partie de l’Inde que la lutte des deux civilisations se trouvera portée sur le terrain élevé des doctrines. Or nous venons de voir quels obstacles rencontre l’influence chrétienne parmi les populations brahmaniques, et qu’il n’y a presque rien à espérer de ce côté, D’ailleurs il n’est pas démontré que leur religion