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sion n’est pas impossible pour un philosophe, elle l’est presque pour un homme de foi, car au fond ce serait une pure et simple absorption du christianisme dans la doctrine indienne.

Il faut ajouter que la foi chrétienne est intolérante, dans le bon sens du mot, et qu’elle n’admet pas volontiers un mélange venu du dehors : toute doctrine étrangère est à ses yeux l’erreur. Quoique cette idée existe aussi dans l’Inde, et que chrétiens, musulmans, bouddhistes et païens soient également pour le brahmane frappés d’aveuglement et d’erreur (môha), cependant la tolérance en matière de religion est poussée très loin aux bords du Gange ; voici comment elle s’exprime :


« Ceux qui, pleins de foi, adorent d’autres divinités m’honorent aussi, quoique en dehors de la règle antique ;

« Car c’est moi qui recueille et qui préside tous les sacrifices. Seulement ils ne me connaissent pas dans mon essence. »


Cette largeur d’idées de la société brahmanique contraste d’une part avec l’unité systématique de ses institutions et de l’autre avec la tendance exclusive du christianisme, qui voit aisément dans les infidèles des malheureux livrés à la damnation. Elle a eu pour effet à des époques non encore fixées de tolérer et d’admettre dans l’Inde différens cultes grossiers et superstitieux ; mais valait-il mieux, en combattant ces cultes, ôter aux races infimes qui les pratiquaient les seuls dieux qu’elles pussent comprendre, pour y substituer des formules métaphysiques au-dessus de leur portée ? Ce même esprit ouvre à présent la porte aux idées chrétiennes : l’expression de avatâra du Christ[1], employée par beaucoup d’Indiens de distinction, semble indiquer la voie où pourraient s’engager les prédications et les entretiens pieux. En la suivant, la foi chrétienne se verrait amenée à se relâcher de ses rigueurs ; mais par cela même on parviendrait peut-être à s’entendre sur quelques points de dogme et plus tard sur les conséquences pratiques qui en découlent. Toutefois il y a peu à espérer des tentatives même les plus conciliantes tant qu’au sommet des doctrines s’élèveront en face l’un de l’autre les drapeaux ennemis du panthéisme aryen et du dogme sémitique de la création.

Dans l’état actuel de l’Inde, les Aryas du Gange et de l’Indus paraissent se préoccuper fort peu de ce que pensent en matière de religion les peuples indigènes du sud. Ils ont eu jadis leur période de prosélytisme, qui a été celle de la conquête ; mais plusieurs milliers d’années les en séparent. Cette conquête a été réalisée sous l’inspiration brahmanique par les xattriyas ou guerriers et s’est éten-

  1. Avatâra signifie descente et désigne les diverses incarnations de Vichnu.