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nouvelle et suppose que, le négoce étant exclusivement abandonné aux particuliers, le gouvernement de la reine emploiera tous ses efforts à la transformation sociale de l’Inde et à sa régénération.

C’est ce que l’état politique de l’Inde permet d’entreprendre dès aujourd’hui, et c’est ce qui avait été presque impossible jusqu’à nos jours. Ce serait une illusion de croire que de simples prédications faites par des particuliers pussent exercer sur une contrée telle que l’Inde une influence quelconque. Les efforts individuels y ont été jusqu’à présent stériles et le seront vraisemblablement toujours. Les associations anglaises sont à peu près impuissantes, de sorte que l’action personnelle, qui a tant de vertu dans le royaume-uni, se réduit à rien dans une société toute différente de la société anglaise. La compagnie des Indes elle-même, malgré les forces et les moyens de tout genre dont elle disposait, n’a presque point eu d’influence sur la civilisation indienne, parce que, tour à tour dominée par les politiques et par les saints, elle n’a le plus souvent représenté qu’un parti ou, pour dire le mot, une coterie dans des proportions plus grandes. Il faut ajouter que ces partis, sans cesse en lutte l’un avec l’autre, prenant l’Inde pour théâtre de leurs querelles, se sont pendant tout le siècle présent embarrassés l’un l’autre, détruisant tour à tour ce qu’ils tentaient de réaliser. L’auteur d’intéressans travaux sur l’Inde anglaise, M. Ed. de Warren, a parfaitement raison d’attribuer en partie à cette animosité réciproque et surtout au prosélytisme immodéré des saints l’insurrection de 1857, car c’est cette ardeur sans mesure qui a provoqué parmi les populations indiennes une hostilité violente contre le gouvernement de Calcutta. Il faut nécessairement que l’action civilisatrice, partant de plus haut, s’exerce d’une façon plus calme et plus équitable. Si elle commence par s’attaquer à ce qu’il y a de plus intime et de plus persistant dans les mœurs du pays, je veux dire à la religion et à l’organisation sociale, elle ne rencontrera dans l’avenir comme dans le passé que des ennemis et n’aura aucun succès. On ne saurait trouver mauvais que des coups de canon soient tirés aux grandes fêtes religieuses de l’Inde, ni désapprouver entièrement lord Auckland d’avoir fait acte de déférence envers les cultes indigènes : Napoléon s’était conduit de même vis-à-vis des prêtres musulmans ; il comprenait que le premier acte de justice d’un chef étranger, à plus forte raison d’un conquérant, est de se plier aux usages religieux des peuples vaincus.

Aussi nous considérons le temps présent comme une époque critique pour la civilisation chrétienne dans l’Indoustan, car son action est désormais tout entière entre les mains du gouvernement anglais, qui seul en doit avoir la direction. Pour qu’elle pût s’exercer