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plus excessifs, puisqu’ils parurent exclusivement consacrés à l’amélioration physique et morale de l’Inde et de ses habitans. Si cette transformation n’avait pas eu lieu, il est probable que la contrée tout entière se serait soulevée contre des maîtres de qui elle n’avait aucun bien à attendre et qui n’étaient pour elle que des oppresseurs. C’est ce que l’Angleterre avait très bien compris, et les craintes qui furent hautement exprimées à cette époque le prouvent surabondamment. Aussi tout le monde dans la métropole et dans la colonie se trouva-t-il d’accord pour ne laisser à la compagnie que son pouvoir gouvernemental, et de peur que ce nouveau système ne participât encore aux inconvéniens de l’ancien, la charte nouvelle ne fut octroyée que pour vingt et un ans, c’est-à-dire jusqu’au mois de mai 1854. En effet, le mouvement imprimé à la politique anglaise par un siècle et demi de conquêtes ne pouvait s’arrêter subitement. Il restait encore à soumettre le Pendjab et le Sindh, occupés le premier par les Çikhes, le second par l’aristocratie des amîrs, et formant ensemble la double région du bas et du moyen Indus avec Lahore et Haïderâbad pour capitales. La guerre contre Ranjit-Singh et la soumission des amîrs n’eurent que des causes politiques ; les raisons commerciales n’y furent presque pour rien ; le Pendjab fut annexé à l’empire anglais en l’année 1846, sous le gouvernement de lord Dalhousie. La puissance britannique avait atteint les limites naturelles de la péninsule ; elle s’étendait sur les deux grands fleuves de l’Inde, le Gange et l’Indus, et se trouvait protégée sur deux côtés par les montagnes et sur les deux autres par l’Océan.

Lord Dalhousie obéit aussi à des raisons politiques et à une sorte de nécessité sociale lorsqu’il détrôna en 1856 le dernier roi d’Aoude et annexa son royaume aux possessions anglaises. Cette partie de l’Inde, située au centre même de la vallée du Gange, est demeurée depuis les temps antiques le séjour par excellence des Aryas ; il n’y a pas dans toute la presqu’île une contrée qui renferme autant de brahmanes ; là sont les fleuves sacrés, ceux que les traditions les plus vivantes et les plus vénérées ont rendus célèbres, le Gange, la Yamunâ (Jumna), la Sarayu ; là est la cité sainte de Bénarès, le confluent sacré d’Allahâbad ; au sud et au nord s’élèvent les grands monts Vindhyas et l’Himalaya, tout peuplés d’ermitages et de saints. Si l’Angleterre eût laissé ce pays central à son autonomie, non-seulement l’empire britannique eût été coupé en deux, mais l’action morale de l’Occident eût été contre-balancée et peut-être empêchée par l’influence brahmanique qui entourait encore l’ancien trône mongol. Enfin l’Europe connaissait déjà une partie importante des œuvres sanscrites ; on venait de publier et de traduire