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venus tour à tour accroître le nombre de ses sujets ; mais, comme l’avait prédit lord Wellington, ses efforts se sont brisés contre l’Afghanistan, et elle n’a jamais songé à franchir l’Himalaya. Tant que le terme naturel n’est pas atteint et que de nouvelles conquêtes sont possibles, elles se font : les vaincus paient alors non-seulement les frais de la guerre, mais les sommes nécessaires pour remettre sur pied les finances obérées de la société de commerce.

La charte concédée en 1773 à la compagnie des Indes, et qui créa un gouverneur-général siégeant à Calcutta et ne relevant que de la cour des directeurs, réunit entre les mains des mêmes hommes de la façon la plus dangereuse le commerce et les pouvoirs civils et politiques. D’une part, cette cour était nommée par les actionnaires de la compagnie et représentait l’exploitation commerciale du continent indien ; de l’autre, pour exécuter les desseins de la cour, le gouverneur avait entre ses mains la paix et la guerre, les traités, la conquête et la nomination à tous les emplois. Les faits qui suivirent l’arrivée de Warren Hastings et ceux qui s’accomplirent pendant la fin du dernier siècle et le commencement du siècle présent furent un des plus grands enseignemens qui aient été donnés au monde dans les temps modernes ; ils confirment cette loi d’économie politique, que, si l’état ne doit pas se faire marchand, il est plus dangereux encore qu’une société mercantile devienne un état. Pendant le premier tiers de ce siècle, le double rôle de la compagnie était déjà devenu pour elle un fardeau insupportable, parce que ses conquêtes nouvelles et l’exploitation d’un pays épuisé ne pouvaient plus suffire à combler le vide de ses finances. Elle aspira pendant trente années à se débarrasser de l’une ou de l’autre charge, et ce qui au premier abord pourrait étonner les hommes de notre temps, c’est son rôle commercial qu’elle demandait à quitter, renonçant ainsi à ce qui semblait être son intérêt fondamental pour se changer en une pure compagnie de gouvernement. C’est en 1833, sous le roi Guillaume IV, oncle de la reine Victoria, qu’eut lieu cette transformation. L’East-India-Company cessa d’être une société mercantile : non-seulement elle renonça au monopole dont sa charte lui donnait le privilège, mais elle cessa tout négoce, et n’eut plus entre les mains que les pouvoirs civils, militaires et politiques, sous la dépendance du gouvernement anglais, et non plus simplement de la cour des directeurs.

C’est à partir de cette époque que les Anglais ont commencé à exercer dans l’Inde une action vraiment civilisatrice. Tant que la compagnie poursuivit un intérêt matériel et agit comme propriétaire, ses pouvoirs durent paraître exorbitans ; mais du jour où elle ne fut plus qu’une société de gouvernement, ces pouvoirs ne furent