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Ghates et la mer ; mais elles sont en majeure partie peuplées par des hommes de race inférieure, que le mouvement d’une civilisation quelconque entraînera toujours difficilement. D’ailleurs la Godâvarî et la Mahânadî sont-elles à comparer au Gange avec ses riches vallées ? On pouvait donc prévoir dès le commencement du siècle dernier que celui qui posséderait les embouchures du grand fleuve deviendrait le maître du commerce intérieur de l’Inde. Quand la compagnie prit possession de Calcutta, il y a cent ans, ce n’était encore qu’une petite ville ; mais par son heureuse assiette elle est devenue l’une des plus grandes cités du monde.

L’East-India-Company, née d’une petite association de marchands et de propriétaires, ne fut pendant près d’un siècle qu’une compagnie de commerce ; elle n’eut pas d’autre but que l’exploitation par voie d’échanges des produits orientaux, que l’Occident ne recevait auparavant qu’en petite quantité par les navigateurs persans ou arabes et par les caravanes. Le commerce anglais, à partir de la concession de Shah-Djihân, prit un tel développement qu’en moins de quarante années la compagnie étendait déjà son empire sur une partie de l’Indoustan, et possédait en fait des contrées que la loi de la métropole ne l’autorisait pas à gouverner. Le commerce ne suppose par lui-même aucune dépendance politique entre les contractans ; mais quand des territoires entiers deviennent caution et constituent de véritables hypothèques, il peut arriver et il est arrivé presque toujours que les anciens possesseurs, étant expropriés, tombent sous l’empire du possesseur nouveau. La compagnie des Indes, dès la fin du XVIIe siècle, se sentait assez forte et assez engagée dans les affaires intérieures du pays pour aspirer à le gouverner. Pendant près d’un siècle néanmoins la métropole recula devant cette conséquence, où la force des choses devait pourtant l’entraîner : le fait existait, le droit ne l’autorisait pas. Or une action gouvernementale suppose une administration et une armée. Prélever sur les fonds de commerce les sommes nécessaires pour défrayer l’une et l’autre, c’était s’exposer ou à ruiner la compagnie, ou à exercer sur les populations soumises des exactions et des actes de violence. Une nécessité en devait amener une autre : plus les possessions territoriales s’étendraient, plus les forces improductives, l’administration et l’armée, grèveraient le fonds commercial et pousseraient la compagnie à chercher au dehors des ressources plus abondantes et des accroissemens nouveaux. Dès lors il n’y aurait plus d’autres limites à la conquête que celles imposées par la nature, les hautes montagnes, quelquefois la mer ou le territoire d’une grande puissance. Ni les Mahrattes, ni les Çikhes, ni le Pendjab n’ont été pour la compagnie un obstacle infranchissable, et ils sont