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disposées les troupes était percée au centre par les Turcs, qui dirigeaient sur ce point toute leur attaque ; il fallait donc aussi porter là toute la résistance. Chacun le voyait. Montecuculli fit appeler auprès de lui les généraux en chef Coligny, le margrave de Bade, le comte de Hollach et les autres officiers qui se trouvaient le plus rapprochés. On tint conseil. On comprend ce que dut être une telle délibération à ce moment suprême entre les chefs de diverses nations préoccupés chacun du sort de son corps d’armée. Tous apportaient des impressions différentes selon leur caractère et selon ce qu’ils avaient vu du combat aux postes divers où ils étaient placés. Quelques-uns ouvrirent l’avis de suspendre la bataille, de couvrir le camp d’un retranchement de terre et d’accorder aux troupes une nuit de repos. Coligny et plusieurs autres soutinrent au contraire qu’il fallait marcher tous à l’ennemi et en finir par un effort suprême.

La délibération fut plus longue que ne le comportait la crise de la bataille. Montecuculli proposa de former les armées en une vaste demi-lune qui convergeât au point où s’était engagée l’action, massant les troupes et passant, comme on disait alors, de l’ordre mince à l’ordre profond. « Il n’y a point d’autre parti à prendre, dit-il, nous sommes perdus, si nous cédons à l’ennemi une heure de temps ou un pouce de terrain. Quoi donc ! croyez-vous que l’armée reprenne son énergie derrière un fossé de trois pieds, si une rivière n’a pas suffi à nous couvrir ? Il faut l’entraîner au combat par une attaque générale, et si nous échouons, même encore faudra-t-il tenir là de pied ferme, y prendre racine, y trouver le triomphe ou le tombeau, nous couronnant de lauriers ou de cyprès. » Je cite les expressions mêmes du généralissime ; elles répondent aux calomnies contemporaines qui s’acharnèrent contre lui. On n’invente point après coup de semblables paroles, l’emphase même est ici une preuve de vérité. Quand il s’agit d’entraîner les masses, la modestie et les nuances du langage ne sont plus de mise, il faut parler de sa plus grosse voix ; l’éloquence des lieux communs est alors la meilleure. Quand le moment ne permet de supposer aucune prétention de rhétorique, c’est par les images les plus simples et par les grands sentimens qu’on entraîne les hommes.

Il était environ quatre heures après midi. Les troupes furent rapidement formées en demi-cercle. Coligny s’était chargé de reprendre le point le plus dangereux où se trouvaient les maisons de Grossdorf, ou plutôt les ruines de ce village, car on l’avait pris, repris et brûlé ; l’aile gauche ou l’armée impériale dut se porter contre la droite des Turcs ; l’armée des cercles, ayant en tête le contingent de Souabe, qui n’avait pas encore donné, devait marcher contre le centre des Turcs. On forma les colonnes, on garnit de mousquetaires les flancs