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Français avait donc réussi, leur but était atteint. On couvrait la Basse-Autriche, et les Turcs, s’ils voulaient un combat décisif, devaient venir le chercher eux-mêmes, acceptant toutes les chances qu’entraîne le passage d’une rivière en face d’une armée ennemie. Le grand-vizir sentait bien qu’il avait perdu l’avantage de la position. Avant de se décider à livrer la bataille, il voulut tenter encore de traverser le fleuve par surprise. Pendant la nuit, il remonta le Raab jusqu’au point où il reçoit la petite rivière de la Laufnitz ; à cet endroit, le Raab n’est guère large que d’un jet de pierre, et plusieurs gués avaient été reconnus par les Tartares. Toujours observée et contenue par l’armée chrétienne, l’armée des Turcs arriva ainsi le 31 juillet au-dessus du confluent de la Laufnitz, en face d’un îlot du Raab sur lequel s’élève le monastère de Saint-Gothard. C’est là que devait se livrer ce grand combat que tant de nations diverses étaient venues chercher du fond de l’Asie, des rives du Bosphore, des bords de la Seine et des régions lointaines du pôle.


VI

Au point où se rencontraient les deux armées, la nature a tracé un vaste cirque bordé au nord et au sud par une rangée de collines qui s’élèvent en amphithéâtre. A l’est, la vue est arrêtée par les murailles du monastère ; à l’ouest au contraire, elle s’étend et pénètre, en remontant le cours du Raab, jusqu’aux sommets neigeux du Hainfeld-Kögel, une des chaînes des Alpes styriennes. De ce côté, le site ne manque pas de cette majesté sévère qui sied au théâtre des grands événemens. Au milieu de ce bassin coule la rivière, qui, sortant des montagnes voisines, va se jeter dans le Danube, près de la forteresse à laquelle elle donne son nom. Avant d’arriver au petit village de Grossdorf, qui joua un rôle important dans l’action, elle trace, en se rapprochant des hauteurs de la rive droite, une courbe profonde qui agrandit d’autant la partie du cirque sur la rive gauche. C’est là, entre Grossdorf et un petit bois situé à deux mille pas au-dessus du village, formant les deux points extrêmes du demi-cercle, que devait se faire le plus grand effort du combat.

Les Turcs avaient placé leur camp sur les hauteurs de la rive droite. Sur la rive gauche, dans la plaine entre les collines et la rivière, campait l’armée chrétienne. Le Raab, comme nous l’avons dit, n’a pas à ce point plus de dix à douze pas de large, et offre plusieurs gués. On passa la journée à se canonner. Les camps étaient si proches que les flèches mêmes des Tartares portaient quelquefois, et chacun pouvait voir distinctement les mouvemens de l’ennemi : étrange spectacle, non-seulement pour ces volontaires