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cavalerie qui, sous les ordres du comte de Bissy, avait dû quitter l’Italie pour venir opérer sa jonction, en Styrie, avec le principal corps d’armée. Depuis qu’il avait traversé le Rhin, il n’avait aucune nouvelle de ce détachement, et se livrait quelquefois à d’inquiétantes conjectures. Rien cependant n’avait détourné la marche de cette petite troupe. Grâce à la précision des ordres donnés par Louvois, elle avait passé le Pô, dans le duché de Mantoue, le jour même où Coligny entrait en Allemagne. Reçue à son arrivée sur les terres de Venise par les commissaires de la république avec les égards et les soins les plus recherchés, la brigade de Bissy arrivait, après dix jours de marche, à Ponteba, sur les frontières des états héréditaires. Là, des commissaires impériaux, « moins attentifs et moins empressés, » la conduisirent, à travers la Carniole et la Carinthie, jusqu’à Marbourg. C’était le lieu fixé pour le rendez-vous. Elle s’y arrêta trois semaines, les cavaliers se reposant, de leurs fatigues, les officiers préparant leur équipage, qui n’avait d’abord été calculé que pour une seule campagne contre les troupes du pape. « C’est à nous, dit Bissy, qui nous a laissé une relation de cette expédition, c’est à nous que revint le plus de plaisir de la campagne, ayant fait le cercle d’un pays curieux, et qui depuis longues années n’avait pas vu les étendards de la France. »

À ce moment, le brave officier jouissait peu des grands spectacles qu’offre la nature dans ces contrées pittoresques ; il n’avait trouvé à Marbourg ni instructions ni nouvelles même de Coligny ; il craignait également de compromettre sa jonction avec lui, s’il quittait Marbourg pour le chercher à travers les défilés des montagnes, ou de manquer à quelque affaire importante, s’il attendait plus longtemps, par obéissance à des instructions que les circonstances pouvaient avoir changées. Personne ne savait non plus où se trouvait le corps composé des contingens de la diète. Enfin, depuis le jour où Gassion, avec ses quatorze cornettes de cavalerie, avait quitté Coligny près de Ratisbonne, on n’avait rien su de lui ; il s’était égaré dans le pays de Salzbourg, et il fut le dernier à opérer sa réunion. Chose singulière et qui peut donner une idée des difficultés des communications à cette époque, comme des dangers que crée l’absence d’unité dans le commandement, cinq armées (en comptant celle de Montecuculli) erraient à peu près à l’aventure dans un territoire assez borné, se cherchant sans pouvoir se rencontrer. Cette situation était pleine de périls et causa plus d’une nuit d’insomnie aux commandans de ces divers corps : ils pouvaient, au lieu de leurs compagnons ou des auxiliaires qu’ils devaient joindre, se trouver inopinément en présence de l’armée ennemie, cinq ou six fois plus forte en nombre que toutes ces petites armées, même une fois réunies.