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des favoris du prince, il l’avait abandonné pour faire sa paix particulière avec la cour. Son maître avait regardé cette conduite comme une trahison, et Coligny, dont le caractère était non moins orgueilleux que celui du prince, était devenu son ennemi personnel et le proclamait fièrement. Le roi se souvint aussi que Mazarin en faisait grand cas, et qu’il n’avait rien épargné autrefois pour se l’acquérir[1]. Ce souvenir lui valut le plus bel emploi que gentilhomme ait eu depuis longtemps, dit Dangeau, qui s’y connaissait. La cour fut surprise de ce choix, bien qu’il n’y eût pas, selon Bussy, d’homme plus brave que Coligny ni de plus de qualité dans tout le royaume.

Coligny avait en effet une réputation d’habileté et de bravoure reconnue de tous. Son esprit vif, plein de saillies, fertile en expédiens, rassurait contre les chances diverses que l’expédition pouvait rencontrer. Il avait alors de nombreux amis ; son caractère, qui plus tard s’aigrit dans la disgrâce et la retraite, animé en ce moment par la jeunesse, par la faveur et ce souffle de prospérité qui donne souvent les qualités qu’elle suppose, se montrait facile, bienveillant et enjoué. Le choix de Coligny, qui surprit d’abord, fut donc vivement approuvé par l’opinion. On peut dire précisément le contraire de celui de La Feuillade, que le roi lui adjoignit comme maréchal de camp[2] ; sa nomination ne surprit personne, mais trouva peu d’approbateurs. A une naissance illustre, à une bravoure sans pareille, La Feuillade joignait une insupportable vanité, et tous les manèges, toutes les flatteries d’un courtisan qui n’aurait eu de chance d’arriver que par la faveur. Au milieu d’une cour et dans un temps où le monarque fut peu à peu traité comme un demi-dieu, La Feuillade trouva moyen d’enchérir sur tout ce culte païen, et avant d’avoir pu dédier à l’idole la statue qu’il lui éleva sur la place des Victoires, il professait pour le roi un dévouement passionné qui, plus que toute chose, lui avait gagné le cœur et les faveurs de celui-ci. Louis XIV n’ignorait point les plaintes que soulevait la nomination de La Feuillade ; il n’en mit que plus de soin à lui donner les occasions de se montrer, se plaisant à relever les services, d’ailleurs réels, de son favori. Cette préférence éclata surtout au retour de la campagne de Hongrie. La Feuillade s’y comporta comme le plus brave des chevaliers ; mais enfin Coligny ne montra pas une moindre valeur, et il commandait

  1. Le cardinal avait chargé Le Tellier de faire des ouvertures à Coligny, et, s’il le trouvait bien disposé, de lui proposer la main de sa nièce, la belle Hortense Mancini. Plus tard Le Tellier en fit la confidence à Coligny pour lui montrer ce qu’il aurait gagné à quitter plus tôt le parti de M. le Prince. « Je ne me repens de rien, répondit Coligny ; j’ai fait mon devoir. »
  2. Podwitz, gentilhomme d’origine allemande, fut nommé second maréchal de camp.