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geait tant la chrétienté que l’empereur eût du pire en cette campagne, il irait la suivante pour réparer ses pertes et repousser son ennemi[1]. » Il n’en fallait pas tant pour enflammer cette jeunesse brave et remuante, prête à saisir toute occasion de se signaler et déjà lasse de la paix qui depuis plusieurs années avait succédé aux troubles de la fronde. Cette expédition aventureuse fut accueillie comme une sorte de passe d’armes, un carrousel plus complet et plus illustre que les autres, et les volontaires se présentèrent en foule. L’empressement fut si grand que le roi se vit forcé d’y mettre des bornes. On intriguait, on se remuait pour être du voyage de Hongrie comme on lit plus tard pour les voyages de Marly : c’était toujours la faveur qu’on poursuivait. Quant aux dangers, aux fatigues, nul n’y songeait, ou plutôt c’était un attrait de plus pour ces jeunes et insoucians courages qui n’estimaient la vie que comme un enjeu destiné à soutenir ou à renouveler des gloires anciennes. Le roi acceptait de préférence les volontaires dont les familles avaient figuré aux croisades. Il se plaisait à rattacher ainsi cette expédition aux antiques souvenirs de sa race, et de la noblesse de son royaume. On dit même que, si le duc de Bouillon fut inscrit un des premiers, c’est qu’on voulait mettre en tête de la liste le nom que portait ce Godefroy, le glorieux chef de la première croisade. La magnificence et la recherche des équipages répondaient à la composition de ce corps d’élite[2]. Le roi n’oublia rien pour relever l’importance de l’expédition. Il voulut donner lui-même par lettres de cachet la couleur des étendards pour chaque escadron et distribuer les volontaires dans les compagnies. En même temps, par de sages règlemens, il cherchait à diminuer les dangers que ne manquerait pas d’attirer sur elle cette jeunesse aventureuse et indisciplinée. Les troupes régulières furent composées des régimens d’infanterie Espagny, La Ferté, Grancey et Turenne réunis, et Piémont avec la brigade de cavalerie de Gassion, composée de quatorze cornettes. Pour compléter le nombre de deux mille chevaux, on résolut d’envoyer en Hongrie les vingt-six cornettes qui se trouvaient alors sur la frontière des états ecclésiastiques. Il avait suffi au corps d’armée destiné à tirer vengeance de l’affront fait à Rome au maréchal

  1. Recueil historique, p. 305.
  2. Les relations du temps nomment parmi les volontaires le duc de Brissac, de Béthune, le duc de Bouillon et son frère le comte d’Auvergne, les princes de Rohan, le duc de Sully, les marquis de Mortemart, de Mouchy, de Graville, de Ligny, de Senecé, de Balaincourt, de Villarceau, de Castelnau, de Termes, le chevalier de Lorraine, le fils du duc d’Uzès, de Matignon, les marquis de Rochefort, d’Albret, le chevalier de Coislin, de Guitry, les princes d’Harcourt et de Soubise, les marquis de Ragny et de Canaples, fils du duc de Lesdiguières, le marquis de Villeroy, le chevalier de Saint-Aignan, fils du duc de Beauvilliers, le marquis de Vallin, de Courcelles, Forbin, le chevalier de Cossé, etc.