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conseil et la population de Vienne l’embrassèrent comme la seule chance de salut. On prit le parti d’appeler solennellement au secours de l’empire non-seulement les princes allemands, mais toutes les puissances de la chrétienté. — Ce n’était pas une guerre ordinaire pour défendre quelques provinces, c’était le grand et éternel combat de l’islamisme contre la religion chrétienne. Vienne n’était qu’une étape ; une fois au centre de l’Europe, les Turcs ne rencontreraient plus de barrière ; on pouvait encore aujourd’hui les arrêter, demain peut-être il serait trop tard. Contre un péril commun et prochain, il fallait les secours de tous, et il les fallait immédiats. — Des ambassadeurs furent envoyés en toute hâte en Espagne, en Suède, en Hollande, à Venise, auprès du saint-siège et des états d’Italie, avec ordre d’exposer sans réticence une situation dont le péril était visible à tous les yeux.

L’orgueil de Léopold était vaincu et ne marchandait plus avec l’inexorable nécessité. De tous les souverains dont il implorait les secours, les uns étaient trop éloignés pour arriver en temps utile, les autres empêchés par des guerres particulières ; quelques-uns, dans une situation trop semblable à celle de la cour de Vienne, n’avaient ni soldats ni argent. Un seul prince pouvait arriver sans retard et avec toutes les chances de succès ; ses armées étaient toujours prêtes, et il avait plus d’argent que tous les souverains de l’Europe[1] : c’était le roi de France.

On sortait à peine des longues guerres que la politique de Richelieu et de Mazarin avait allumées au cœur même de l’empire. La paix conclue n’avait point éteint la rivalité qui jusqu’à la fin du siècle devait agiter et embraser l’Europe. Aux combats avaient succédé les intrigues. Par la paix de Westphalie et les conventions qui l’avaient suivie, par la garantie que la France et la Suède avaient été appelées à donner aux privilèges des princes électeurs, non-seulement l’influence de la France s’était établie au sein même de l’Allemagne, mais son souverain était devenu lui-même un des princes de l’empire en qualité de comte d’Alsace. Louis XIV prenait donc une part effective, directe, et, comme on disait alors, avait une voix virile dans la diète. On comprend ce que pouvait

  1. L’armée française était dans un état magnifique. Au lieu de 100,000 hommes que Louis XIII avait eus constamment sous les armes, Louis XIV avait pu, après la paix des Pyrénées (1600), même en licenciant 20,000 hommes, en garder encore 125,000 — Vers la même époque, le produit de l’impôt s’élevait en chiffres ronds à 96 millions, qui faisaient plus de 200 millions de nos jours. Les charges publiques avaient été réduites de telle sorte qu’il entrait de produit net et disponible au trésor plus de 31 millions (65 aujourd’hui) qu’à la mort de Mazarin. (Mignet, t. II, Histoire des Négociations pour la succession d’Espagne.)