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rencontrer ainsi la main de la France dans ces contrées lointaines, et, en retraçant un épisode de l’histoire d’un peuple étranger, d’avoir à inscrire quelques pages glorieuses de l’histoire de la patrie !


II

La chrétienté n’avait alors à opposer au péril qui la menaçait qu’un faible empereur dépourvu du courage et des qualités qu’aurait exigés la gravité des circonstances. Élevé pour être moine, devenu par la mort prématurée de son frère roi et empereur, Léopold Ier gardait encore, après dix ans de règne, les allures timides et incertaines de sa première éducation. C’était un prince rusé sans habileté, taciturne sans calcul ni prévoyance, plein de méfiance vis-à-vis des autres et sans confiance en lui-même : nulle grandeur dans le caractère, nulle portée dans les desseins ; une ambition au jour le jour, qui ne savait rien risquer et n’était qu’une convoitise impuissante. Rien dans la destinée de ce long règne, si fécond en résultats utiles et décisifs pour la monarchie autrichienne, ne vint du souverain. Ces résultats d’ailleurs n’étaient guère à prévoir à ce moment. Élu empereur sous le joug des conditions les plus énervantes pour son autorité, ce successeur des césars n’avait ni armée ni finances. Devant lui, il voyait les Turcs établis à Bude, — à ses côtés, les Hongrois insoumis, — à Ratisbonne, les électeurs de l’empire, qui ne prenaient pas son autorité au sérieux et lui marchandaient sans cesse les secours et les subsides, — au-delà du Rhin, la France restée armée et menaçante après le traité de Westphalie. Livré cependant à de vains amusemens ou à des études spéculatives, Léopold avait abandonné la direction du gouvernement à son ancien précepteur Porcia. Ce vieux favori, créé prince par son élève, régnait sous son nom ; c’est à lui du moins que s’adressaient les ministres étrangers, les gouverneurs des provinces. C’était un homme au-dessous du médiocre, incapable d’aucune attention sérieuse, impuissant à prendre une résolution décisive. A peine se souvenait-il du nom de ceux avec lesquels il traitait ; il cherchait à cacher ces défauts presque physiques sous une apparence de confiance et de tranquillité. Cet étrange premier ministre répondait uniformément à tout le monde « qu’on avait tort de s’inquiéter, que les affaires s’arrangeraient d’elles-mêmes avec le temps et par la grâce de Dieu, » ou si quelque rude capitaine le poussait trop vivement, exigeant des soldats pour couvrir les états héréditaires et de l’argent pour les payer, il le renvoyait avec de vaines promesses, lui laissant à choisir entre la désertion de ses troupes ou le pillage des contrées qu’il devait défendre ; puis il re-