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premier projet, n’en avait présenté aucun autre, et avait couvert l’inaction la plus prolongée de la plus entière indifférence. Il avait à expliquer encore comment, tout en trouvant le projet tel quel de M. Baines impraticable, les ministres allaient cependant voter pour ce bill radical. Dominé par la fausseté de cette position, sir George Grey a dû avouer, au milieu des applaudissements sardoniques de l’opposition, que le cabinet n’a point de système sur la question électorale, qu’il renonce à l’initiative pour la transmettre au pays, et qu’il se laissera tranquillement ballotter de droite à gauche au gré de la marée populaire. La discorde du parti libéral, la confusion du cabinet, faisaient beau jeu au parti conservateur, qui était resté jusque-là étranger à la discussion. Il fallait bien constater cette scène finale où s’étalait l’impuissance du parlement expirant, de ce parlement qui avait été pourtant élu pour réaliser une réforme électorale, où éclatait l’inconséquence d’un ministère infidèle à son mandat d’origine, et dont les membres, en repoussant la réforme présentée par les tories et en renversant le ministère conservateur, avaient si notoirement fait les affaires de leur ambition au détriment de leurs principes. Ce piquant discours de clôture a été prononcé avec beaucoup de modération et de tact par M. Disraeli.

Des étrangers n’ont guère qualité pour exprimer une opinion sur les argumens employés en Angleterre contre une nouvelle réforme ou en faveur d’une extension plus démocratique du mandat électoral. La révolution française, qui a fait chez nous table rase de tout, et qui nous oblige à prendre notre point de départ dans des principes rationnels et non dans des intérêts établis et des faits existans, nous empêche, en cette matière, d’avoir avec les Anglais une langue politique commune. Cependant, si l’on examine au fond les argumens contradictoires des partisans et des adversaires de la réforme, des témoins désintéressés doivent reconnaître que des deux côtés il y a des raisons justes et des exagérations. Il est certain par exemple que le motif immédiat des changemens politiques est la nécessité de mettre fin à des abus et à des injustices inhérens à un mauvais système de gouvernement. Il faut qu’une nation soit et se sente mal gouvernée pour qu’on la puisse passionner en faveur des réformes. Or, en envisageant les choses au point de vue de savoir si la nation anglaise est bien ou mal gouvernée, il faut convenir que les griefs et par conséquent les chances des partisans des réformes politiques en Angleterre sont aujourd’hui bien minimes. On peut dire que tous les abus, tous les actes vexatoires, toutes les injustices sociales et politiques dont on se plaignait en Angleterre avant l’acte de réforme de 1832 ont depuis cet acte complètement disparu. Les monumens de l’ancienne intolérance, les inégalités fondées sur les différences des cultes, les monopoles économiques qui contrariaient la distribution naturelle de la richesse et mettaient obstacle à la liberté du travail ont été entièrement abolis. Au milieu d’une société où tout excès de pouvoir est devenu impossible, la liberté coule à pleins bords. Les intérêts po-