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M. Baines est un type de ces réformistes anglais qui perpétuent la tradition du progrès modéré, patient et lent. Il n’est point de ceux qui s’échauffent pour une théorie, qui soufflent l’agitation dans les masses populaires, et qui, portés par le courant de la foule, viennent à certains intervalles imposer en dictateurs aux intérêts conservateurs des concessions inévitables. M. Baines est au contraire de la classe plus humble des politiques qui remplissent utilement ces intervalles. Ces hommes persévérans et modestes se contentent de ne point laisser périmer les revendications dont ils sont les organes. Chaque année, ils font leur motion et leur discours, discours peu ambitieux, médiocrement éloquent, plus nourri de statistique que de pensées et de mouvemens oratoires. C’est ainsi qu’ils cheminent, portant leur question ou portés par elle, à une tranquille allure. M. Baines appartient à cette famille d’hommes politiques qui semblent nés, dans la marche des réformes, non pour faire les grands bonds, mais pour marquer le pas. Cependant M. Baines a obtenu deux années de suite un succès signalé. L’an dernier, il fournit à M. Gladstone l’occasion de lancer cette déclaration en faveur de l’avènement des classes ouvrières au droit de suffrage qui sembla le porter à la tête du parti radical ; cette année, il a offert le prétexte d’une protestation pleine d’énergie et de talent aux adversaires des tendances démocratiques.

On sait à quel point est compliqué le système électoral anglais. La constitution anglaise est fondée non sur des principes abstraits, sur des droits établis à priori, mais sur un ensemble de privilèges obtenus et développés dans la suite des temps, et qui se font contre-poids les uns aux autres. Le seul principe général sur lequel repose la constitution anglaise de l’aveu de tous, c’est le droit des citoyens à être bien gouvernés, c’est-à-dire avec justice, ou, en d’autres termes, de telle sorte que la liberté légitime de chacun soit protégée et maintenue. Toute réforme électorale, dans le sens anglais, signifie le remaniement simultané de ces privilèges et l’extension de quelques-uns d’entre eux à un plus grand nombre de citoyens. les derniers projets de réforme, celui que M. Disraeli présenta au nom du ministère de lord Derby et celui que lord John Russell combina au nom du ministère actuel, comprenaient à des degrés divers ce double travail de remaniement et d’extension. M. Baines n’a pas la prétention de résoudre avec cet ensemble et d’une façon finale la question de réforme ; son bill n’était qu’une manifestation réformiste et ne touchait qu’à l’extension du suffrage électoral. Voici comment : dans l’équilibre qu’il a cherché à établir entre les intérêts qui ont droit à la représentation du pays et à la direction du gouvernement, l’acte de réforme de 1832 a fait la part de l’intérêt démocratique au sein des populations urbaines en conférant le droit électoral aux citoyens qui occupent une habitation valant au moins 10 livres sterl. ou 250 francs de loyer. La ten pound franchise est la principale issue ouverte à l’élément démocratique dans la législation électorale actuelle. Le grand reproche que le parti libéral adressa en 1859 au bill de M. Dis-