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Que tirer des anciens le moindre petit mot,
C’est tomber dans le cuistre et s’appeler un sot.
À trop haut prix, je crois, se cotent les modernes.
Ils jugent par trop vif le feu de leurs lanternes,
Sans savoir si pourtant cette neuve clarté
Ira comme l’antique à la postérité.
À mon sens, les anciens faisaient moins de tapage ;
Mais, doués par le ciel d’un esprit juste et sage,
Ils aimaient la nature, et, l’observant sans fin,
En rendaient les contours d’un pinceau net et fin.
De là tous ces beaux vers que la grâce décore,
Nés depuis trois mille ans et qui vivent encore,
Ces écrits pleins de sens, de vigueur et de sel,
Où la vérité mit son cachet immortel.
Aussi qui tient en main l’un de ces beaux génies
A-t-il d’en profiter de terribles envies,
Et se sent-il tenté, par un adroit larcin,
D’enlever une pierre à son brillant écrin,
De découper un pan de sa pourpre divine
Pour faire que la sienne un peu plus s’illumine,
Pensant qu’à cette robe arracher un morceau
N’est point se revêtir d’un stérile lambeau
D’étoffe, mais qu’avec ce fin tissu de laine
C’est ravir une part de la nature humaine,
De ce fond immortel qui ne change jamais,
Quel qu’en soit le pays et quels qu’en soient les traits.
Voilà ce que j’essaie… Ah ! quand la veine s’use,
Que pour nous de baisers moins prodigue est la Muse,
Il faut se départir des grands airs d’inventeur
Et faire volontiers œuvre d’imitateur.
À ce métier d’ailleurs, si j’ai bonne mémoire,
On peut encor parfois grapiller quelque gloire.

LA BONNE TACTIQUE

Un matin, dégoûté de la rime indocile,
Dans un coin populeux de notre grande ville
J’errais, quand tout à coup s’élève une rumeur :
Un homme s’enfuyait en criant : Au voleur !
Et désignait du doigt la route présumable
Que dans son vif élan avait pris le coupable.
Et chacun de bondir vers l’endroit qu’il montrait ;
Mais lui, par un détour, à l’opposé courait,