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l’enlèvement du corps se ferait le lendemain à neuf heures du matin.

Isidore répondit au magistrat qui se présenta ce qu’il avait dit au commissaire. Toute la journée se passa pour lui dans des alternatives d’affaissement complet et d’élans de douleur. Aux approches de la nuit, le gardien apporta une lumière qu’il plaça sur la commode et se retira. Isidore, qui était resté assis dans un grand fauteuil de paille près de la cheminée, n’en bougea point pour se coucher. Le lit qu’il entrevoyait dans l’ombre semblait lui inspirer un véritable effroi. Il y jetait de temps à autre de furtifs regards. Quoique les heures s’écoulassent, il luttait contre le sommeil. Vers minuit pourtant, il y succomba, mais avec une physionomie creusée de fatigue et tourmentée de terreurs. Le commissaire de police et le médecin le considéraient, sans qu’il les vit, par un judas pratiqué dans la cloison. Au bout d’une heure d’un sommeil qui était celui du corps et non de l’âme, il se leva pesamment et s’achemina en trébuchant vers la commode, où il fit le geste de tirer une arme de son fourreau. Il obéissait à une puissance fascinatrice plus forte que sa volonté. De la commode, il alla au lit et leva le bras pour frapper ; mais au même instant il se rejeta en arrière, poussa un cri d’horreur, d’indignation et de révolte, qui remua jusqu’aux entrailles les témoins de cette scène, et tomba inanimé sur le carreau. Le commissaire et le médecin entrèrent, le relevèrent et lui firent donner les soins que réclamait son état. Isidore était en proie à un accès de fièvre chaude, et deux hommes avaient peine à le tenir.

— Eh bien ? demanda le commissaire au médecin.

— Cet homme n’a pas eu d’attaque de somnambulisme la nuit dernière, car il n’aurait pas plus tué sa femme alors qu’il ne l’eût tuée maintenant. Quant à l’avoir assassinée de sang-froid, je ne crois pas qu’il l’ait fait. On n’imite pas à un tel point le désespoir et la douleur, on ne pousse pas de parti-pris ce sauvage cri du cœur que nous avons entendu ; on ne simule pas surtout, avec les désordres qu’elle cause et les traces qu’elle laisse, une semblable hallucination. Tout ce qu’il dit doit être vrai, sauf le crime dont il s’accuse. Le meurtre a dû se commettre à ses côtés, mais par d’autres mains que les siennes.

— Ainsi vous le croyez innocent ?

— Oui.

— Et moi aussi ; mais alors quel est le coupable ?

— Ah ! mon cher commissaire, dit en riant le médecin, le découvrir, c’est votre affaire.