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Le commissaire fit monter un de ses agens, qui garda Isidore à vue. Il fit prévenir en même temps un médecin, en le priant de se rendre à l’hôtel où le crime avait été commis. Le médecin, qui demeurait à deux pas de là, rejoignit promptement Isidore et le commissaire. Ce dernier l’instruisit de ce qui s’était passé. Il était à peine sept heures, et la maîtresse de l’hôtel dormait encore. On la réveilla en lui recommandant de se tenir tranquille, afin d’éviter tout désordre ; puis l’on monta à la chambre d’Albertine. Le médecin examina la blessure : — C’est, dit-il, un coup frappé avec une énergie sauvage et d’une main sûre, un coup très rare d’ailleurs, car la lame a glissé droit au cœur sans se heurter à aucun obstacle, et la mort a dû être foudroyante.

Tout en écoutant le médecin, le commissaire observait Isidore à la dérobée. Isidore pleurait. En face de sa femme morte, il ne s’occupait plus que de sa douleur.

— Croyez-vous, fit à demi-voix le commissaire, que son mari ait pu la frapper comme il prétend, ou plutôt comme il croit l’avoir fait, dans un accès de somnambulisme ?

— Ce serait étrange, mais non impossible. Il y a même des actes dont le somnambule, comme dans ce cas-ci, ne conserve aucun souvenir. Toutefois le somnambule n’agit jamais aveuglément. Il obéit toujours à une idée préconçue et ne fait en définitive que ce qu’il veut faire. Si cet homme aimait sa femme, il n’est pas probable qu’une inspiration maladive, venue en quelques instans, ait prévalu contre l’affection qu’il lui portait. D’ailleurs gardez-le au secret. Ce soir, si l’état mental où je le vois suit son cours naturel, nous serons certainement à peu près fixés.

— Que se produira-t-il ?

— Vous le verrez, car je vous prierai d’être là. Qu’il ait eu ou non un accès de somnambulisme, il en aura un ce soir, ou tout au moins une hallucination équivalente. L’imagination est trop surexcitée pour qu’il n’en soit pas ainsi. Et nous conclurons alors de ce que nous le verrons faire à ce qu’il a pu ou aurait pu faire cette nuit.

Pendant que l’agent prenait les devans avec Isidore, qui fut écroué et mis au secret le même jour, le commissaire interrogea en se retirant la maîtresse de l’hôtel. Aucun bruit qui pût éveiller, les soupçons n’avait été la nuit entendu dans la maison. Le garçon de service, de la soupente où il couchait, avait tiré le cordon à un assez grand nombre de personnes qui entraient ou sortaient ; mais cela n’avait rien d’étonnant dans un hôtel habité par des étudians qui, en hiver surtout, n’ont pas d’habitudes régulières. Le commissaire sortit en mettant la chambre sous les scellés et en annonçant que