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leurs que la musique peut tout étudier, tout commenter, tout rendre, depuis le spectacle d’une grande assemblée délibérante jusqu’aux mystères d’un dogme religieux.

Entre le premier acte politique et catholique de l’Africaine et le quatrième, véritable oratorio du panthéisme, que d’espaces franchis, d’océans parcourus ! Vasco, mettant le pied sur le sol de sa découverte, contemple la nature qui l’entoure, se promène ébloui, ouvre son âme à tous les enchantemens d’un songe édénique. Il s’enivre et se pâme aux ineffables délices de cette terre promise, dont l’orchestre, tandis que sa voix plane adagio, vous raconte les bruits, les gazouillemens, les parfums, les merveilles : mélodie adorable, exclamation suprême du ravissement se détachant sur le trémolo des flûtes et les tenues suraiguës des violons, dont par intervalle un roulement sourd des timbales ouate le son ! Tant de rêverie colore cette musique, elle a l’accent si pittoresque, si pénétrant que la lumière d’un monde nouveau vous inonde. Au-dessus des massifs de gardénias neigeux, de roses jaunes, le cocotier étend ses palmes, d’innombrables ruisseaux venus de l’intérieur de l’île baignent de tous côtés une végétation luxuriante ; à ses bras de fer, qui défient la hache des guerriers, le thuya tient suspendus ses fruits énormes ; le platane à tige pourprée déploie ses feuilles parcheminées larges d’une a une et d’un vert sombre. De ces cimes, de ces taillis descend, comme un bruit de bavardage humain, l’imperturbable conversation des perroquets ; partout, dans des flots de soleil, des miroitemens d’ailes, des sifflemens d’oiseaux, des bourdonnemens d’insectes ! À ce cantabile, à cet air rayonnant d’inspiration succède un morceau d’ensemble conduit par Nélusko, puis enfin, après le magnifique intermède des épousailles, le duo.

Nous sommes au quatrième acte d’un opéra de Meyerbeer : la parole est au ténor et à la femme, il s’agit d’une scène d’amour ; que déraisons pour évoquer le plus dangereux des parallèles ! Il est vrai que de ces sortes de périls le maître n’en a cure. Bien loin de les redouter, on croirait au contraire qu’il les recherche. On a dit d’une personne célèbre qu’elle avait des amans pour se prouver à elle-même qu’elle ne vieillissait point ; Meyerbeer aimait à se porter de ces défis. « Je n’ai pourtant pas fait que le quatrième acte des Huguenots, » répétait-il souvent, impatienté de cette obstination avec laquelle à tout propos on lui jetait son chef-d’œuvre à la tête, et nous ne pouvons nous empêcher de voir une certaine coquetterie dans cette façon de rappeler deux fois dans l’Africaine ce souvenir involontaire des Huguenots. Toujours est-il qu’il fallait se sentir à l’esprit et au cœur des ressources peu communes pour oser, quand on avait au théâtre de pareils antécédens, débuter par