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n’est point venue, ou si peu qu’on se demandait ce qu’il fallait penser d’une telle mystification. A Vienne, à Londres, les choses se font plus simplement et en, quelques semaines. Nous autres, nous avons la manie de tout compliquer : beaucoup dire et au demeurant ne rien inventer, s’agiter dans le vide ! On jette l’or par les fenêtres, on gaspille le temps, et pour arriver à ce beau résultat on s’expose à compromettre les destinées d’un chef-d’œuvre en retardant jusqu’aux chaleurs une représentation qui aurait pu avoir lieu trois mois plus tôt.

Musicalement, ce troisième acte me semble inférieur à ceux qui précèdent. J’y trouve trop de remplissage descriptif, de pittoresque hors de propos. Les malveillans d’outre-Rhin, qui prétendent que le style dramatique français, tel que l’ont compris Auber et Meyerbeer, n’est jamais qu’un mélange d’airs à boire et de prières avec la scène de folie obligée, qu’une éternelle opposition d’hymnes religieux et de bacchanales, ne manqueront pas d’exploiter l’argument. Le fait est que pour que ces rapprochemens antithétiques aient au théâtre une action sérieuse, il faut qu’ils soient une nécessité même de la situation. Or vous n’assistez là qu’à une sorte de passe-temps musical admirablement combiné, je l’avoue, mais qui ne répond point à la curiosité pressante du moment. Tous les jours on bat la diane à bord, tous les jours, au lever du soleil, les marins font leur prière. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir ce qui s’agite sur un bâtiment quelconque, mais comment, sur ce vaisseau que j’ai devant les yeux, vont se comporter les diverses passions de votre drame ; — C’est à coup sûr un très rare morceau que cette prière où, d’en bas et d’en haut, les voix d’un double chœur s’enchevêtrent, se coordonnent, large plain-chant posé par les voix d’hommes auxquelles répond l’invocation des femmes. Toutefois ces sortes d’effets chez Meyerbeer n’étonnent plus. Le maître a si souvent prouvé sa force et son adresse et dans les Huguenots, et dans l’Étoile du Nord et dans le Prophète, tant de beautés d’ailleurs se disputent l’attention, que l’accessoire, même réussi, même admirable au point de vue spécifique, à tort.

A vrai dire, l’intérêt ne commence qu’au moment où Nélusko commande la manœuvre. Dès le début de l’acte, on le voit aller, venir, s’agiter à l’arrière, comme une bête fauve dans sa cage. L’amiral dom Pedro l’a nommé pilote du navire. Il parle, donne un ordre : « tournez au nord, » quelques mesures de récitatif sans accompagnement écrites d’une main souveraine. M. Faure attaque, prolonge, accentue superbement cette phrase d’une intonation très difficile. Sa voix se développe à l’aise, flexible, onctueuse, étoffée. Du reste, cette maestria d’exécution, M. Faure l’étend sur tout le rôle, qu’il compose, joue et chante en artiste français pénétré de la