Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nier d’état. Vasco est libre, mais elle désormais, hélas ! ne l’est plus, car cet ordre d’élargissement signé par le roi n’a pu être obtenu qu’au prix d’un mariage avec l’amiral dom Pedro. Tel est le programme dont Meyerbeer a tiré sa scène. On n’imagine pas plus de noblesse, d’autorité dans les développemens, d’élégance dans les détails : cors en sourdine, violons, tenues des instrumens de bois, timbales ; chaque péripétie amène un motif, une idée ; les dessins se croisent, soutenant le récit. On les suit, on les voit, tandis que le drame musical va son train, promener leurs arabesques dans l’orchestre. C’est d’une distinction, d’une dignité de l’on et de manière qui vous rappellent les meilleurs passages des Huguenots, et avec cela un mouvement dramatique imperturbable : chaque personnage, chaque voix maintenus à leur poste de passion, de combat, une de ces périodes à la Meyerbeer magnifiquement modulées, qui s’avancent, comme la nuée, grosses de tous les orages d’une situation, et après avoir éclaté sur un point fondent en rosée. Sur les dernières mesures, l’orchestre laisse les voix à découvert, et le morceau se termine par un mouvement lent en éteignant le son. On se prend à songer aux Huguenots, et aussi à la Chanson de mai. Meyerbeer ne savait pas faire petit : jusque dans le joli, l’agréable, il portait son romantisme ; il avait, en fait d’art, les raffinemens d’un voluptueux ; il lui fallait passer d’un genre à l’autre, goûter à tout. Le même homme tourmenté de combinaisons colossales qui, par le cinquième acte de Robert le Diable, le quatrième du Prophète, introduisait l’église dans le théâtre, allait à certains momens rêver d’idylles, de chansons. Les hauteurs l’attiraient ; mais tout en montant, déjà il aspirait à descendre. Les sensations du beau ne lui suffisaient pas, il voulait celles de l’aimable. C’était en toute chose un curieux. Suivez, dans cette Chanson de mai, la progression qui, doucement accentuée d’abord, finit par se résoudre sur le mot amour avec une force, un éclat dont l’expression rappelle le même procédé employé dans le trio de Robert le Diable et dans cet admirable septuor de l’Africaine. C’est un diminutif de sa pensée, mais c’est toujours sa pensée raisonnant, calculant ses effets, composant.

Ici nous touchons au vaisseau. L’océan, de loin, s’annonce au voyageur ; vous ne l’apercevez pas encore, que déjà l’air salé, certaines rumeurs vagues trahissent son approche. Écoutez dans l’orchestre ce bruit de flots, ce roulis. Là, derrière le rideau, quelque chose flotte : c’est le vaisseau. La toile se lève : ô désappointement ! On en avait trop parlé, de cette caravelle. Ça, le vaisseau de l’Africaine ! Vous plaisantez ; mais c’est le décor d’Haydée surchargé d’un étage. Le public impatient attendait la manœuvre ; la manœuvre