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ses juges, et l’anathème proposé par le grand inquisiteur est repris par les évêques dans un ensemble à l’unisson, dernier effort du génie et qu’il faut désespérer de rendre avec des mots.

Quant à moi, pareil début, j’en dois convenir, ne laissait pas de m’effrayer un peu. Qui n’a entendu parler de cette fameuse porte de Mindos que Diogène conseillait aux habitans de fermer avec soin de peur que leur petite ville ne passât dessous pour s’en aller ? Bien des œuvres, j’imagine, et des plus recommandables de notre temps, courraient en pareil cas même danger ; mais, en construisant ce vestibule colossal, l’architecte avait d’avance calculé les proportions de son édifice. Pour ceux qui ont entendu cette scène, je n’ajouterai rien maintenant, car ils savent ce qu’elle contient de beautés de tout genre, et pour l’immense majorité du public qui l’ignore, je la renvoie au quatrième acte des Huguenots. Elle n’a qu’à se rappeler et à se dire que c’est quelque chose d’approchant, sinon de supérieur.

Au second acte, la gamme change ; mais l’intérêt musical ne faiblit pas. Les caractères se posent. Voici d’abord Sélika, l’Africaine, aux pieds de Vasco endormi dans sa prison. Elle veille, elle épie, inquiète, caressante, jalouse. Son amour, à peine révélé, a des bonds de panthère, soupire et gronde, s’irrite et s’apaise, éclate en cris de rage au nom d’Inès que le rêve de Vasco vient lui livrer, ou se résout en langueurs énervantes dans un chant de berceuse indienne délicieusement balancé au-dessus des tintemens argentins du triangle. À ce monologue d’un charme exquis succède une scène de drame. L’esclave a compris les troubles de sa maîtresse et n’imagine rien de mieux que d’assassiner Vasco pour sauver d’un faux pas la majesté royale, car c’est une reine que cette Sélika amenée en Europe par Vasco de Gama au retour d’une première expédition. Toutefois, au moment de frapper, Nélusko hésite, et, désarmé par un regard de la reine, tombe à ses genoux. Où trouver une voix plus émue, plus pathétique ? Involontairement vous pensez à Ruy Blas, au ver de terre amoureux d’une étoile. C’est le même accent de soumission, mais plus humble, plus prosterné, comme il convient à la nature abrupte. À cette passion rampante et féline, Meyerbeer opposera tout à l’heure le caractère chevaleresque et tout en dehors de son héros.

Vasco se réveille, congédie l’esclave, et soudain engage avec Sélika un duo coupé à l’italienne, et que traverse un généreux souffle mélodique. Puis vient le septuor, morceau capital de l’acte. Inès, une de ces princesses malencontreuses qu’on retrouve partout dans les opéras de Scribe, — la même personne éplorée qui dans la Muette s’appelle Elvire, Eudoxie dans la Juive, Isabelle dans Robert le Diable, Rafaëla dans Haydée, — Inès apporte sa grâce au prison-