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tique, morale, religieuse et même européenne. Par la diversité de ses mobiles et de ses caractères, elle touchait à une question d’organisation intérieure, et en même temps à une question plus générale qui partageait déjà le continent, qui allait mettre toutes les passions guerrières, tous les intérêts sous les armes pendant un demi-siècle. De plus, elle embrassait des populations unies dans un même sentiment de résistance, mais différentes de mœurs, d’esprit, de tempérament. Ce qu’elle est le moins dans tous les cas, c’est une révolution improvisée dans l’enivrement d’un fanatisme abstrait. La politique de Guillaume d’Orange était l’expression naturelle et forte de cette situation complexe. C’était un mélange de fermeté et de patience, de combinaisons et de foi, de calcul et d’héroïsme, de diplomatie et d’action militaire.

Deux fois il vint se heurter, les armes dans les mains, contre l’oppression qui pesait sur les Pays-Bas et ne faisait que grandir. La première fois, c’était par cette invasion qu’il avait préparée en Allemagne. Pendant que Louis de Nassau tentait la fortune dans la Frise et ne semblait réussir un moment que pour être bientôt rejeté dans l’Ems, Guillaume se disposait à envahir le Brabant. Il y entrait presque en victorieux avec une armée de plus de vingt mille hommes, composée de Français, d’Allemands, d’Anglais et d’un petit noyau de réfugiés des provinces. Il croyait pouvoir prendre pied dans le pays, relever les courages, trouver des soldats et des ressources. Le désastre fut complet. Les populations terrifiées hésitaient à se prononcer. Le duc d’Albe, qui revenait triomphant de sa campagne de la Frise, usa Guillaume, comme il avait usé Louis de Nassau, par la tactique, sans vouloir se battre, par des surprises meurtrières, si bien qu’en peu de jours l’armée de Guillaume était fondue et débandée, et lui-même il était réduit à se jeter en France. La seconde fois, trois ans plus tard, Louis de Nassau, guerroyant pour les protestans français, l’œil toujours fixé sur les Pays-Bas, avait réussi par un coup d’audace à surprendre Mons, s’y était enfermé et s’y défendait avec une vaillance désespérée contre les Espagnols, accourus pour reprendre la ville. Guillaume d’Orange, rassemblant une armée nouvelle, revenait de son côté dans les Pays-Bas. Il voulait faire arriver des secours à son frère, assiégé dans Mons, ou tout au moins dégager la ville par une diversion hardie, en provoquant une bataille qu’on lui refusait encore, lorsqu’une nuit les Espagnols, se précipitant sur son camp, faillirent le prendre lui-même. Il s’était endormi profondément sous sa tente, ses gardes dormaient aussi. Un petit chien, qui couchait toujours à ses pieds, le sauva seul en aboyant avec fureur et en se jetant à son visage. Il n’eut que le temps de sauter sur un cheval et de