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l’absolu et la droite ligne dans les caractères et dans les affaires humaines ont pu remarquer plus d’une fois, comme une faiblesse morale de Guillaume, ses hésitations, ses contradictions, sa marche lente à travers les événemens. C’est ce qui fait au contraire son originalité morale, et ce qui imprime le sceau humain au personnage. Ce n’est pas tout d’un coup en effet qu’il était arrivé à cette inébranlable assurance et à cette vigoureuse trempe qui font de sa figure l’image de l’opiniâtreté héroïque et tranquille.

Il avait été, comme tous ses compagnons des Flandres, un seigneur brillant, aimant les plaisirs, se jouant dans les fêtes extravagantes et se ruinant de son mieux. Il avait une table renommée en Europe, et où on buvait comme partout. Il n’avait pas cessé encore d’être catholique à cette époque ; il défendait les droits du pays, mais sans mettre en doute l’autorité du roi. Lorsque le duc d’Albe arrivait à Bruxelles, ce n’était plus le gentilhomme fastueux et insouciant des premiers temps ; l’habitude des pensées sérieuses se laissait voir sur son visage plissé. Son âme prévoyante et forte devinait la lutte, sans vouloir s’y jeter prématurément. Le spectacle des sanglantes persécutions religieuses, en révoltant sa conscience, l’avait préparé à une rupture plus éclatante. Il n’était nullement silencieux par nature ; il avait conquis son nom de taciturne dans une circonstance singulière. Lorsqu’il avait été en France comme négociateur après la bataille de Saint-Quentin, il avait reçu du roi Henri II une confidence aussi étrange qu’imprévue. Le roi, le croyant au fait de tout, lui avait révélé un jour le plan, médité et proposé par Philippe II, pour l’extermination des protestans dans les Pays-Bas et en France. Guillaume se tut, ne laissa voir aucune émotion ; mais depuis ce moment il était éclairé : la diplomatie du roi ne pouvait le tromper. Il savait où allaient les événemens, et de son côté il attendait, opposant la politique à la politique, sachant jour par jour par des agens fidèles ce qui se passait dans les conseils de Philippe, suivant pas à pas la marche du plan. Il n’ignorait pas qu’ils étaient tous condamnés ; il savait le choc qui se préparait. Il vivait depuis quelques années avec cette pensée fixe, devenue sa passion, et c’est ainsi qu’au moment décisif il se trouvait hors d’atteinte, méditant déjà comment il rentrerait dans les Pays-Bas pour faire face à l’envahisseur, comment il rassemblerait les élémens de la résistance nationale.

Ce n’était pas une facile entreprise de lever le drapeau de l’insurrection au milieu d’un pays courbé sous le joug du duc d’Albe, envahi par la terreur, épuisé de sang et d’argent avant de combattre. Guillaume d’Orange avait pour lui cette intelligence populaire qui le cherchait, le désignait, et lui donnait l’autorité morale