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ce n’est plus seulement la défense plus ou moins régulière, plus ou moins tyrannique d’un gouvernement aux prises avec des populations agitées qui lui échappent ; c’est le duel corps à corps du patriotisme espagnol et du patriotisme flamand, de l’hérésie et du catholicisme armé de l’épée flamboyante, et dans cette lutte, où il prodigue certes autant de sagacité que d’énergie, il marche, droit au but sans s’arrêter devant rien, pas même devant l’humanité, brisant tout ce qui est obstacle, prêt à porter toutes les responsabilités, les acceptant d’un cœur froid et d’une conscience tranquille. La conscience du duc d’Albe, c’est d’obéir au roi avec une passion de servilité, d’enfoncer la griffe du lion espagnol dans les provinces, et d’extirper la rébellion nationale et hérétique. Ce n’est plus même le soldat avec ses susceptibilités militaires et ses habitudes de combat régulier. Le soldat s’efface en lui ; il ne reconnaît pas les lois de la guerre avec son ennemi, dans lequel il ne voit qu’un coupable à mille têtes, toutes également condamnées. C’est le dompteur irrité et impatient d’abattre sa victime ; c’est l’homme qui propose gravement, pour faire la paix, de raser toutes les cités flamandes en ne laissant que quelques places occupées par les troupes espagnoles, — l’homme qui écrit : « Si je prends Alkmaar, je suis résolu à ne pas laisser une seule créature en vie ; on coupera la gorge à tout le monde. » Il va jusqu’au bout avec une impitoyable logique, dépouillant et dépeuplant, « puisque c’est la seule manière d’accomplir la volonté de Dieu, » convaincu qu’il a parfaitement droit à la statue colossale qu’il se fait élever dans la citadelle d’Anvers, comme au pacificateur des Pays-Bas, et que le pape ne fait que son devoir en lui envoyant le chapeau et l’épée des défenseurs de la foi. Je ne sais s’il avait quelques momens de lassitude ; il n’éprouvait à coup sûr ni émotion ni doute : il avait la rigueur froide et inflexible d’un système absolu servi par une volonté de fer, et c’est ce qui fait de lui un vrai phénomène moral, le type des exécuteurs de ces grandes œuvres de compression et de destruction. L’histoire devait prouver que système et homme, spoliations et massacres, étaient également impuissans, et que la pacification des Pays-Bas par le fer et le feu était le commencement de leur indépendance.

Le duc d’Albe, à tout prendre, n’était pas seul dans cette sanguinaire provocation qui allait réveiller un peuple. Il était à Bruxelles, combattant par les armes ou par le bourreau, marchant avec une impassible hauteur au milieu de l’incendie qu’il allumait. Philippe était à Madrid, aiguisant dans l’ombre l’épée vengeresse, s’enveloppant de duplicité, ne se dévoilant jamais qu’à demi et nouant toute sorte d’intrigues dont seul il avait le mot. Il n’avait pas revu