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miste chez le duc d’Albe égalait l’administrateur : il voulait remplir le trésor et subvenir aux immenses dépenses du roi. Quand il vit que les confiscations, même multipliées à l’infini, n’offraient qu’une ressource insuffisante et précaire, et que le trésor restait vide, il songea à établir tout un système d’impôts par l’autorité directe de la couronne. Ce n’était pas seulement effrayer tous les intérêts menacés, c’était attaquer cette société aux abois dans son dernier retranchement, qui était le droit absolu et exclusif de consentir l’impôt ; mais il eût été trop simple de croire qu’une nation condamnée à mort avait le droit de voter des contributions. Les taxes imaginées et imposées par le duc d’Albe étaient combinées de façon à produire le plus possible, au risque de ruiner le pays, de tarir les sources du commerce et de la richesse. Il y en avait trois principales : l’une de 1 pour 100 sur toutes les propriétés mobilières et immobilières, qui devait être prélevée immédiatement ; l’autre de 5 pour 100, perpétuelle, sur toute mutation de la propriété foncière ; la troisième enfin, de 10 pour 100, sur toutes les marchandises ou articles mobiliers, toutes les fois qu’ils changeraient de mains. On a fait mieux depuis. À cette époque, il était clair que ni la propriété, ni l’industrie, ni le commerce, ne pouvaient résister à cette combinaison du dixième et du vingtième. Le duc d’Albe n’y regardait pas de si près ; il se promettait des millions, il les promettait d’un ton de triomphe au roi, et la moindre résistance était un acte de trahison.

Ainsi, dans ce réseau de compression sanglante et minutieuse, les Pays-Bas se trouvaient serrés jusqu’à étouffer. Ceux qui échappaient pour la religion avaient la main du bourreau sur eux parce qu’ils osaient mettre en doute le droit absolu du roi et invoquer les libertés anciennes. Ceux qui se taisaient avaient à répondre de leur silence comme suspects. Ceux que la politique avait épargnés retombaient sous les coups du fisc et se relevaient coupables. Le marchand était pris pour sa richesse, le protestant pour l’hérésie, le catholique parce qu’il trouvait mauvais que le protestant fût brûlé, et le conseil des troubles, l’universel distributeur de la justice, faisait son œuvre. En peu de temps, les Pays-Bas étaient devenus comme un cirque ensanglanté. Les exécutions se succédaient ; à peu de jours d’intervalle, la sentence de mort frappait quatre-vingt-quatre habitans de Valenciennes, quatre-vingt-quinze personnes de différens villages de Flandre, quarante-six habitans de Malines, trente-cinq accusés ramassés dans les environs. Ailleurs c’était une vieille femme coupable d’avoir donné asile, dix-huit mois auparavant, à un pauvre ministre réformé, et surtout d’avoir une fortune considérable, bonne à confisquer. Elle avait quatre-