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civile et dans sa richesse. De là toute sa politique à la fois religieuse, sociale et économique, très complexe dans les détails, très simple dans sa conception. La force était au sommet, et elle trouvait son symbole dans cette citadelle d’Anvers qui avait été une des premières pensées du nouveau gouverneur. L’application du système était d’abord dans le conseil des troubles, qui a reçu depuis l’ineffaçable nom de conseil de sang, et qui remplaçait d’un coup toutes les autres institutions. Ce n’était en apparence, au premier moment, qu’une cour de justice sommaire créée pour réviser le grand procès de l’agitation des Pays-Bas ; c’était au fond une meurtrière et irrésistible machine d’absolutisme concentré sous laquelle périssaient, mutilés et broyés, privilèges, constitutions, garanties de justice, lois civiles, libertés municipales. Des Flamands, complices par crainte ou par entraînement, comme le souple président Viglius, Berlaymont, Noircarmes, faisaient partie de cette sorte de commission extraordinaire ; en réalité, ils n’étaient que des instrumens. Deux Espagnols seuls décidaient, tranchaient, votaient ; le duc se réservait à lui-même le droit de prononcer souverainement ; il se défiait des hommes de loi, qui « ne condamnent, disait-il, que lorsque le crime est prouvé. » Le conseil de sang étendait à tout sa juridiction. C’était un crime, selon cet étrange code, d’avoir osé penser que le roi n’avait pas le droit de détruire la liberté des provinces, ou que le tribunal devait se conformer aux lois ; c’était un crime d’avoir signé des pétitions contre les nouveaux évêques, contre les édits, de n’avoir point résisté aux briseurs d’images, aux prédications des réformés, d’avoir eu des sympathies pour le compromis et les confédérés… Le silence devenait une trahison comme la parole, et la peine était aussi simple que la juridiction était étendue : c’était la mort dans tous les cas. Le conseil des troubles ne bornait pas son action à Bruxelles ; il avait des ramifications partout, il enveloppait le pays, et, pour ne pas laisser échapper ses victimes, le dictateur des Flandres avait imaginé un raffinement nouveau : il infligeait les peines les plus sévères aux voituriers coupables d’aider dans leur fuite ceux qui cherchaient à émigrer. Il voulait seul tuer ou bannir. C’était encore un crime de se dérober à l’extermination, et l’obéissance elle-même n’était plus un refuge assuré.

Par le conseil de sang, l’omnipotent proconsul tenait la vie, la sûreté individuelle, les libertés de la population des Pays-Bas ; par ses mesures économiques, il tenait ses biens, son travail, sa richesse. C’est le propre de ces destructeurs d’avoir une économie politique merveilleusement appropriée à leurs desseins. La confiscation est le premier de leurs procédés, et quand la confiscation ne suffit plus, le système prend la forme des taxes ruineuses. L’écono-