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roi, haï du peuple, méprisé et raillé par toute cette noblesse avec laquelle il était en guerre. En peu de temps, il attira sur lui une impopularité colossale. De cette situation assombrie, la gaîté jaillissait encore comme une étincelle, et se répandait en quolibets, en satires, en bouffonneries. On lui remettait à lui-même, sous forme de pétition, une caricature où il était représenté comme une poule couvant des œufs d’où sortaient des évêques ayant une ressemblance grotesque avec ceux qu’on venait de nommer, et au-dessus de la tête du cardinal se montrait le diable disant : « C’est ici mon fils bien-aimé, écoutez-le. » Brederode, « personnage escervellé si oncques en fut, » le poursuivait de toute sorte de mascarades et mettait sur son chapeau au lieu de plumes une queue de renard symbolique. Pour railler le luxe et les somptueuses livrées du cardinal, d’Egmont imaginait une livrée nouvelle, ce qu’on appela la livrée des sotelets, une tunique de drap grossier avec de longues manches pendantes sur lesquelles étaient brodées pour tout ornement un capuchon de moine et un bonnet de fou. En quelques jours, tout le drap du Brabant et la serge de Flandre furent employés à faire ces livrées, qui passaient dans les rues de Bruxelles comme une satire vivante. Politiquement, Granvelle ne réussit pas mieux. La ruse était aussi impuissante que la violence. Les persécutions, loin de faire reculer les idées nouvelles, devenaient un stimulant redoutable, et à deux pas des bûchers, des gibets, on confessait la foi réformée. Les remontrances se succédaient de la part des villes, des états provinciaux à chaque violation des droits du pays. La résistance en un mot ne faisait que s’étendre et se fortifier.

Il manquait un programme à ce mouvement grandissant, et ce fut là l’origine du compromis, qui ne portait d’abord que trois signatures, celles de Brederode, de Charles de Mansfeld et de Louis de Nassau, mais qui réunit bientôt des milliers de noms, surtout parmi les petits gentilshommes et même dans la bourgeoisie. C’était l’engagement de défendre en commun les droits du pays, de combattre l’inquisition et les étrangers, et de se prêter appui, tout cela mêlé de protestations de loyauté et de fidélité au roi. Une fois créée, la confédération nouvelle devait faire acte de vie. Trois cents gentilshommes arrivèrent bruyamment à Bruxelles, Brederode en tête, pour présenter une pétition à la régente, et leur présence seule, en révélant le progrès de l’agitation, remuait la ville, troublait Marguerite de Parme, divisait le conseil, où se trouvaient des hommes tels que Guillaume d’Orange, d’Egmont, Horn, Montigny, qui, sans avoir signé le compromis, ne pouvaient ni le désapprouver, ni livrer leurs parens et leurs amis qui l’avaient signé. La ligue finit misérablement avant que la lutte réelle eût commencé ; ce