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est vraiment un voyant dans toute la force du mot hébreu appliqué aux prophètes. Son regard plane au-dessus de la terre. Didyme a ces yeux que l’Écriture loue dans l’épouse du Cantique, et ceux-là aussi que le Christ nous ordonne de lever en haut, pour voir si les campagnes sont blanches et les épis déjà mûrs. »

Cependant le temps paraissait long aux compagnons de Jérôme et de Paula : rien ne les intéressait plus dans Alexandrie, et la vue de quelques solitaires établis dans les environs (car la vie monastique, sortie du désert, commençait à assiéger les villes) aiguillonnait leurs désirs : Nitrie les appelait. La caravane se remit donc en marchent nous la suivrons dans cette nouvelle excursion ; mais, pour l’intelligence de notre récit, nous devons exposer d’abord, ce que c’était que ce lieu fameux, dans quelle contrée de l’Égypte il était situé, et par quels chemins on s’y rendait.

Quand on descend de la haute dans la moyenne Égypte, en suivant le cours du Nil, on voit les deux chaînes de montagnes parallèles, qui forment son lit jusque-là, se séparer à la hauteur de l’ancienne Memphis. Celle de droite, sous le nom de chaîne arabique, se dirige obliquement vers la Mer-Rouge et l’isthme de Suez ; celle de gauche projette deux grands rameaux, le premier vers le lac Maréotide, au midi d’Alexandrie, le second plus à l’occident, vers la Méditerranée, à travers les sables de la Libye : c’est ce qu’on appelle la chaîne libyque. Entre ces deux rameaux et les collines du Nil d’un côté, les sables libyens de l’autre, s’ouvrent deux larges vallées, dont la plus orientale renferme des terrains nitreux et plusieurs lacs salés[1] ; et la plus occidentale, remplie de sables et sans végétation, semble avoir été un ancien bras du Nil, et ports encore aujourd’hui parmi les Arabes le nom de Fleuve-sans-Eau. Ces deux vallées, séparées l’une de l’autre par un plateau de quatorze lieues dans sa plus grande largeur, composaient les domaines monastiques de Nitrie et de Sceté. Rien de plus stérile, rien de plus attristant que ce royaume de la solitude avec ses sombres spectacles et ses privations pour ceux qui l’habitaient, ses périls pour les curieux ou les dévots qui venaient le visiter.

Trois routes y conduisaient en partant d’Alexandrie, routes inégalement longues, et qui présentaient chacune son caractère particulier de fatigues et de dangers. La première franchissait d’abord le lac Maréotide et longeait ensuite la vallée, au milieu des cristallisations de nitre et des marécages salins, jusqu’à la montagne qui formait le centre des établissemens monastiques ; mais le lac, soumis aux vents du large, et parfois agité comme la mer, était redouté pour, plus d’un naufrage ; souvent aussi les fondrières de la vallée

  1. Elle porte aujourd’hui le nom de vallée du Natron. — Voyez les Mémoires de l’Expédition française en Égypte.