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elle tenait dans sa main deux instrumens tout-puissans : la cour de Malines, tribunal souverain créé justement pour coordonner, c’est-à-dire pour détruire toutes les libertés locales en fondant l’unité politique dans la servitude, et l’inquisition, qu’elle travaillait à introduire dans les Pays-Bas pour maintenir l’unité religieuse, de telle sorte que, dès le premier moment, tous les élémens du combat se trouvaient réunis : l’heure de l’explosion était seule incertaine.

Tant que Charles-Quint avait gardé la puissance, cette lutte était restée à demi voilée et comme suspendue. Nul, il est vrai, n’avait mieux pressuré ces provinces et n’avait mis plus d’habileté à les plier sous le joug. C’était lui qui avait infligé une cruelle et humiliante répression à l’insurrection de Gand en 1540, et c’était lui aussi qui, par ses impitoyables édits de 1550, avait inauguré l’ère des persécutions sanglantes contre les réformés. « Il était trop clairvoyant, selon le mot de l’historien nouveau, pour ne pas reconnaître la liaison entre l’amour de la liberté religieuse et celui de la liberté politique, et sa main était toujours prête pour écraser les dieux hérésies. » Tel qu’il était cependant, le souple et habile empereur savait se servir de son origine flamande et était presque populaire dans les Pays-Bas. Il était volontiers familier avec ses compatriotes ; il allait boire de la bière avec les paysans brabançons et tirer de l’arquebuse avec les artisans d’Anvers, tout comme il partageait les plaisirs des grands seigneurs flamands, dont il aimait à s’entourer. S’il avait publié ses édits sanguinaires, les terribles placards qui avaient fait déjà des milliers de victimes, il les laissait dormir assez souvent. C’était une nécessité de sa situation ; il était plus politique que fanatique : il avait fait la paix religieuse de Passau, il avait dans son armée des soldats luthériens qu’il voulait garder, et il les laissait jusque dans son camp suivre la liberté de leur foi, si bien que la cour de Rome s’en indignait. Et puis c’était l’empereur. Sous son sceptre, les Pays-Bas étaient les égaux de ses autres possessions ; ils faisaient partie d’un grand corps politique, ils n’étaient point un peuple soumis, livré à un autre peuple, violenté dans son indépendance morale.

Charles-Quint une fois disparu et le prestige impérial évanoui, ce n’était plus que la suprématie directe et oppressive de l’Espagne, la domination étrangère exercée par un prince plutôt fait pour l’aggraver que pour l’adoucir. Philippe II n’avait rien de flamand. Le jour de son avènement, il ne put même parler dans aucune des langues du pays aux états-généraux. Tout Espagnol de goût, d’idées et d’éducation, il n’avait que de l’antipathie pour l’esprit ou les plaisirs de ces populations animées et bruyantes. Il était plus étran-