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Ces provinces wallonnes, flamandes, hollandaises, frisonnes, qui étaient passées des mains des derniers princes de Bourgogne aux mains de Charles-Quint, leur héritier impérial, pour rester un simple domaine espagnol, qui avaient grandi dans la pratique d’une semi-indépendance, étaient pleines de vie et d’activité. Elles s’étaient formées, elles s’étaient élevées par le travail, qui avait créé une vigoureuse bourgeoisie à côté de la fière et remuante noblesse flamande, par l’habitude de se mesurer avec le grand ennemi, l’océan, par l’éclat de leurs industries et de leurs arts, par le développement de toutes les libertés locales. Sur ce territoire morcelé et menacé, il y avait plus de deux cents villes, et quelques-unes rivalisaient avec les villes les plus populeuses, les plus animées et les plus riches de l’Europe. Presque toutes avaient leurs chartes, leurs corporations innombrables, et elles figuraient aux états-généraux, représentation commune de tout le pays. Chaque province avait sa constitution. Celle du Brabant portait un nom tout empreint de bonne humeur : elle s’appelait la « joyeuse entrée, » et elle était si populaire que les femmes allaient faire leurs couches sur le sol brabançon, pour assurer à leurs enfans l’avantage des privilèges de la province. La Hollande avait aussi sa constitution. Reléguée au nord et coupée par le Zuyderzée, la petite et pauvre Frise restait une sorte de république aux mœurs sobres et rudes. Les traits communs de ces constitutions sont le résumé éternel des conditions de toute liberté réelle. Point de subsides sans le vote des états-généraux, point de justice exceptionnelle, point d’étrangers dans les fonctions publiques, point de soldats étrangers, si ce n’est en temps de guerre ; point de changemens dans l’organisation de l’église, si ce n’est avec le consentement des villes et de la noblesse ; inviolabilité des lois et des coutumes, et si le prince y contrevient, « nul n’est tenu de lui obéir. » Par suite de leur position, qui en faisait le lieu de passage de toutes les idées et de tous les intérêts, et aussi par une conséquence de leur développement moral, ces provinces d’ailleurs étaient restées dans les affaires de religion assez indépendantes vis-à-vis de Rome, et elles étaient tout ouvertes aux doctrines nouvelles. Les tentatives de réformation allaient à ces esprits sensés, peu faits pour se plier aux mysticismes violens, et jaloux de leurs droits. Pour l’Espagne, tournée à l’absolutisme par son génie et par la logique de son histoire, toute cette efflorescence de liberté n’était qu’un obstacle à sa domination ; les instincts naissans de réformation religieuse n’étaient que l’hérésie à déraciner, un élément de résistance de plus à vaincre. La politique espagnole, pour marcher à son but, avait deux moyens, elle en avait même trois. Elle avait d’abord la force, mais en outre