Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ruse. L’un et l’autre travaillent consciencieusement à pacifier ! Contre son ennemi, qu’a donc ce peuple pour se défendre ? Il n’a rien à attendre du dehors. L’Allemagne lui prête à peine des mercenaires qui se débandent à la première défaite, si la solde est en retard ; la France lui envoie l’écho sinistre de la Saint-Barthélémy. Il n’a pour opposer à la force organisée d’une administration tyrannique et d’une armée aguerrie que les débris de ses libertés locales mutilées et un sentiment religieux trempé dans les massacres. Je me trompe : il a encore un homme pour le conduire, pour le soutenir, et la mer, qu’il peut prendre pour complice en se submergeant lui-même pour submerger son ennemi. C’est tout, et cependant il finit par triompher. Il reste maître du champ de bataille, et il se trouve avoir jeté un élément nouveau dans la politique européenne ; mais cette laborieuse victoire, il faut qu’il l’arrache en quelque sorte à la fortune, il faut qu’il la dispute pied à pied, jour par jour, au milieu des exécutions et des spoliations. C’est là l’histoire que retrace M. Lothrop Motley, et l’historien, qui est un Américain du nord comme Prescott, est digne des événemens qu’il raconte. Il a écrit son livre, devenu aujourd’hui français, avec un mélange de science et de feu, en vrai fils d’une république qui a eu, elle aussi, sa guerre de l’indépendance, en protestant qui sent encore remuer sa fibre contre l’implacable audace des persécutions religieuses. Ce n’est point un livre impartial, si on prodigue ce beau nom d’impartialité à ce sentiment sceptique et émoussé qui se croit supérieur parce qu’il se cuirasse contre l’émotion, parce qu’il tient la balance entre les persécuteurs et les victimes, entre la force et le droit. Il est impartial dans le sens le plus élevé au contraire, si l’impartialité est le respect de la vérité, l’exactitude du récit échauffée, vivifiée par un énergique et libéral sentiment de justice. C’est même le charme sérieux de cette histoire d’être sincèrement, résolument passionnée sans être infidèle, sans tomber dans l’excès des vaines apologies ou des travestissemens frivoles.

Il y a longtemps déjà que ce douloureux et éclatant procès s’instruit. Les témoignages les plus imprévus se sont multipliés. Les acteurs qui ont eu le premier rôle se sont dévoilés dans leurs correspondances, dans ce qu’ils croyaient ne dire que pour eux-mêmes ou pour leurs complices. Guillaume d’Orange a parlé ; Philippe II, cet autre Taciturne, a parlé ; il écrivait beaucoup, il calculait tout ce qu’il écrivait, et ses lettres laissent voir jusque dans les profondeurs de cette âme implacable et subtile. Granvelle, le rusé, le tenace cardinal, et le duc d’Albe n’ont plus rien d’inconnu. Les uns et les autres, sans le vouloir, sans le savoir, ont livré le secret de leur action et de leur pensée, le secret des deux camps. Le livre de