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Une révolution qui n’est qu’une révolution intérieure, c’est-à-dire le plus souvent une guerre civile, garde toujours je ne sais quelle couleur sombre et ingrate. Le droit s’obscurcit parfois dans les horreurs de ce déchirement d’une nation partagée entre deux camps ennemis, si bien qu’on ne sait plus où est la justice et que la sympathie hésite à se fixer. Ce n’est plus de même dans les guerres d’indépendance, où la lutte est engagée entre la conscience d’un peuple et une domination étrangère qui s’impose. Ici tout est clair, tout est tragiquement simple. Le droit, quelques défaites qu’il subisse, de quelques flétrissures qu’on cherche à l’avilir pour l’évincer, ne cesse pas d’être le droit. La force, de quelque nom spécieux qu’elle se pare, ne cesse point d’être la force ; victorieuse ou vaincue, elle reste livrée à l’incorruptible Némésis qui s’attache à elle et la marque d’une ineffaçable empreinte. Les esprits bien faits n’ont pas à secouer cet insupportable malaise qui naît de l’incertitude dans les grandes crises publiques. On est avec ces combattans de la bonne cause, combattans d’hier ou d’aujourd’hui, qui ne peuvent souvent que mourir pour affirmer leur droit de vivre, et dont le sang rejaillit à la face de ceux qui le versent sans mesure dans des luttes inégales. Telle fut cette guerre de l’indépendance hollandaise, qui revit tout entière avec ses épisodes, ses idées, ses passions, ses personnages, dans le beau livre de M. Lothrop Motley, une des histoires les plus substantielles, les plus animées, les plus entraînantes qui aient vu le jour depuis les vigoureux et éloquens récits de Macaulay, une de ces œuvres qu’on lit et qu’on relit, ne fût-ce que pour se donner ce spectacle toujours nouveau de la race humaine dans ce qu’elle a de plus sainement héroïque et dans ce qu’elle a de plus terriblement malfaisant, dans un Guillaume d’Orange et dans un duc d’Albe, — ne fût-ce aussi que pour apprendre à ne pas désespérer du bon droit dans les plus cruels abandons.

Voici en effet un petit peuple qui pendant un demi-siècle sent sur lui le poids d’une des plus puissantes monarchies du temps, d’une domination étrangère armée, au nom d’une pensée d’unité religieuse, de tous les moyens de compression et de destruction. Au moment voulu, il se rencontre un de ces hommes qui semblent faits pour frapper, frapper sans trêve et sans merci, qui ont la passion de leur métier, et qui peuvent certes dire ce que disait notre batailleur Montluc avec une sorte de mélancolie en parlant des cruautés de la guerre : « Dieu doit estre bien miséricordieux en nostre endroit, qui faisons tant de maux. » Au-dessus du terrible exécuteur se tient le prince, qui de loin, du fond de sa cellule royale, dirige d’un cœur froid et d’une intelligence étroite l’œuvre de violence et de