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après la victoire la société fut dissoute. Au moment où le général Changarnier, sur les boulevards, à Paris, avec un si dédaigneux sang-froid, coupait par le milieu la colonne des prétendus pétitionnaires polonais, et faisait ainsi avorter la tentative dite des Arts-et-Métiers, les sections prenaient les armes à Lyon, et le danger paraissait d’autant plus grand que les régimens de la garnison avaient été depuis longtemps l’objet d’un embauchage activement pratiqué. Il fallut toute la vigueur des chefs de corps pour enlever les troupes ; les généraux d’Arbouville et Magnan jouèrent, comme ils le dirent, la partie au petit bonheur. La lutte heureusement fut courte, et après la victoire, le général Gémeau profita de la mise en état de siège pour fermer les magasins fraternels et les cafés et désarmer les ouvriers. L’ordre était rétabli ; mais pendant longtemps encore les craintes subsistèrent, les bruits les plus alarmans circulaient à intervalles périodiques. Lyon était signalée comme le centre d’une Vendée socialiste. On considéra, et avec raison, comme un acte d’énergie la démarche du préfet, M. Darcy, qui alla sans escorte, et à pied, à travers une foule menaçante, procéder à l’installation du nouveau conseil municipal de la Croix-Rousse. Néanmoins, si de tels événemens peuvent justifier la loi du 19 juin 1851 et le décret du 24 mars 1852, qui remirent entre les mains du préfet du Rhône les soins de la police et de l’administration et créèrent la nouvelle agglomération lyonnaise, faut-il reconnaître aussi à la loi du 5 mai 1855, qui a définitivement privé les habitans du droit de nommer leur conseil municipal, le même caractère de nécessité absolue ?

La situation d’une ville telle que Lyon exige que les pouvoirs y soient forts, pour maintenir la sécurité ; mais avec la constitution actuelle de l’autorité préfectorale, avec un grand commandement militaire et une concentration imposante de troupes, en quoi la nomination du conseil municipal par les contribuables mettrait-elle en péril la paix de la cité, alors surtout que le gouvernement est armé contre tous les conseils municipaux du droit de les suspendre et de les remplacer ? Cette exception, qui ne se justifie plus aujourd’hui, est d’ailleurs, aux yeux de beaucoup de juges compétens, souverainement impolitique. Depuis que, par la nouvelle agglomération, l’élément ouvrier se trouve mêlé à tous les autres, on peut être certain que les élections n’appelleraient pas au conseil de la cité des administrateurs d’une nuance trop exclusive. En tout cas, l’épreuve mérite d’être faite. On ne peut dire de Lyon ce qu’on objecte pour Paris : l’industrieuse cité du Rhône n’est pas une capitale ; elle appartient aux Lyonnais avant tout, et les Lyonnais y sont en majorité. Depuis longtemps donc, l’administration aurait dû se préoccuper plus qu’elle ne semble l’avoir fait de ramener un état