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moins que la grande Alexandrie, métropole de toute l’Égypte et une des capitales du monde romain. Ce ne fut pourtant point l’admirable beauté de son port qui les intéressa le plus, ni le souvenir du conquérant macédonien, ni celui de Pompée, de César, de Cléopâtre, dont les aventures se lisaient en même temps que leurs noms sur tous les monumens de la ville : sans être indifférent aux choses de l’histoire, Jérôme avait un but plus précis. Alexandrie renfermait alors dans ses murs un docteur chrétien dont il ne connaissait que quelques ouvrages, mais dont il avait entendu parler par ses maîtres d’Antioche, de Laodicée, de Constantinople, comme d’un rival d’Athanase et d’un philosophe digne d’être placé assez près d’Origène : ce grand docteur se nommait Didyme, nom à présent bien inconnu ; il était aveugle. Rien n’est plus digne peut-être des sympathies de l’historien que ces gloires éphémères d’un siècle, ignorées des autres, et mortes avec le sentiment qui les avait produites, mais qui ont à un certain moment illustré leur pays et enthousiasmé les contemporains. Didyme, à ce prix, mérite une mention particulière dans nos récits.

Il était Égyptien, né de parens chrétiens et chrétien lui-même. Un affreux malheur l’avait frappé dans sa première enfance : il n’avait pas encore cinq ans et commençait à peine à connaître ses lettres quand un mal soudain lui enleva complètement la vue. Le magnanime enfant ne se rebuta point : il acheva d’apprendre à lire au moyen de caractères mobiles qui lui servaient à composer des mots et des phrases. Il sut bientôt ce que les clairvoyans pouvaient savoir, et bien plus qu’ils ne savaient : l’étude était devenue la seule condition de sa vie. Assidu aux leçons des professeurs les plus célèbres, il étudia tout, grammaire, rhétorique, poésie, philosophie, mathématiques et jusqu’à la musique, qui faisait alors partie de cette dernière science. Nul n’interprétait mieux Platon, nul ne parlait si bien d’Aristote. Ce qu’on citait surtout comme une merveille, c’est qu’étant aveugle il sût résoudre les problèmes les plus compliqués de la géométrie sur des figures qu’il n’avait jamais vues. Dans la science sacrée, ses prodiges surpassaient tout cela. Didyme savait par cœur les deux Testamens, de manière à en réciter, rapprocher, commenter les textes avec la sûreté de mémoire que les travaux exégétiques réclamaient. Il en était de même des autres livres chrétiens.

Alexandrie était encore le siège de cette haute école d’exégèse où la philosophie servait d’introduction à la théologie et Platon d’initiateur à l’Évangile. La chaire fondée au Ier siècle par Pantène, transmise par lui à Clément, et par Clément à un disciple qui les éclipsa tous deux, Origène, cette chaire était maintenant occupée par Didyme. Origène y régnait toujours dans l’enseignement de ses