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ou le Christ, est la chaire de Saint-Pierre ; c’est elle qui est la patronne du lieu et la souveraine. Les mots officiels complètent l’explication : on appelle le pape sa sainteté, sa béatitude ; on a l’air de croire qu’il est déjà dans le ciel.

Presque tous les mausolées de papes sont frappans, surtout celui de Paul III par Della Porta. Deux figures de Vertus demi-couchées sur son tombeau déploient leurs beaux corps avec des attitudes hardies ; la vieille songe avec une gravité superbe et fière ; la jeune à la riche beauté, la spirituelle et sensuelle tête, les cheveux ondes, la petite oreille des figures vénitiennes. Elle était presque nue, on l’a habillée depuis ; ce passage de la sculpture naturelle à la sculpture décente marque le changement qui sépare la renaissance du jésuitisme.

Je ne sais pas pourquoi Stendhal loue si fort le mausolée de Clément XIII par Canova : ce sont des figures de Girodet ou de Guérin, fades ou qui posent. À cet égard, les tombeaux récens sont instructifs. Plus un monument se rapproche de notre temps, plus ses statues prennent une expression spiritualiste et pensive ; la tête usurpe toute l’attention, le corps se réduit, se voile, devient accessoire et insignifiant. Considérez tour à tour par exemple le tombeau de Benoit XIV, mort au siècle dernier, et tout à côté les mausolées de Pie VII et de Grégoire XVI : sur le premier siègent ou s’agitent de belles femmes encore saines et fortes, bien posées et d’un vif mouvement ; sur les deux autres, les Vertus sont des squelettes soigneusement ratisses, habillés et intéressans. — Nous finirons par ne plus sentir le corps et la forme, mais seulement l’âme et l’expression.

Dimanche de Pâques.

Le temps s’est gâté, la pluie tombe par rafales ; mais la foule couvre tout, la place, les escaliers, les portiques, et s’engouffre avec un bourdonnement prolongé dans l’immensité de la basilique. Dans cet océan humain, de lentes ondulations se développent et se brisent ; des remous incertains tournoient autour des piliers de marbre ; devant la statue de saint Pierre, le flot incessant avance et recule sous le reflux des vagues précédentes. Les froissemens et tassemens serrent et desserrent à chaque instant le désordre mouvant des mêlées ; une tumultueuse et bruissante confusion de pas, de frôlemens, de paroles roule entre les grandes murailles, et dans les hauteurs, au-dessus de cette agitation et de ce murmure, on aperçoit les pacifiques rondeurs des voûtes, le vide lumineux des dômes, et les étages de bordures, d’ornemens, de statues qui vont se superposant pour combler l’abîme tournoyant de la coupole.

Dans cette mer de corps et de têtes, une double digue de soldats, de chantres, d’enfans de chœur, forme un lit où coule pompeusement