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La tête et le cœur reçoivent une secousse, et le retentissement en dure plusieurs heures. Tout est calculé ici pour ces sortes d’impressions, par exemple l’office à Saint-Pierre ; le grand autel est si loin que l’assistance ne peut saisir les paroles, je ne dis pas les comprendre, c’est du latin. Peu importe : le majestueux bourdonnement qui arrive aux oreilles, l’éblouissement produit par les chapes d’or, la majesté des masses architecturales suffisent pour troubler vaguement l’âme et maintenir l’homme à genoux.

La semaine sainte, dimanche des Rameaux.

Depuis huit jours, nous passons la moitié de nos journées à Saint-Pierre. Nous regardons une cérémonie, puis nous nous asseyons au dehors sur les escaliers ; la place, enserrée dans ses colonnades, tachée de points humains qui remuent, traversée de processions muettes, est à elle seule un spectacle. Sur la place, par le plus beau soleil, entre les panaches blancs des fontaines, on regarde ces processions qui montent, moines à cagoules, violets, rouges ou noirs, orphelines, élèves des séminaires, une foule bigarrée de visiteurs, de femmes voilées de noir, de soldats, qui se croise et ondoie. Les voitures des monsignori arrivent une à une avec leur décoration de cochers et de laquais chamarrés ; il y en a trois par derrière, deux accrochés à la voiture, le troisième aux deux autres. des domestiques sont précieux : voyez-les dans les tableaux d’Heilbuth, importans et tranquilles, avec des habits neufs qui ont l’air un peu vieux, ou des habits vieux qui ont l’air un peu neufs, demi-bedeaux, demi-laquais, sachant qu’ils brossent la soutane d’un pape possible, et qu’ils sont plus près du ciel que les autres hommes, convaincus que leur âme est un peu sainte et néanmoins ménageant l’étoffe de leur culotte. Quant aux prélats, leurs figures sont bien fines, non pas de cette finesse parisienne qui consiste à dire de jolis mots, mais d’une finesse ecclésiastique et italienne, celle des diplomates et des procureurs, gens habitués à se contenir, à se précautionner, à ne pas donner prise. — Sur les marches dorment les paysans ; il ne faut pas trop s’en approcher : l’odeur vous monte au nez, ils ne se sont jamais lavés et sentent la bête fauve. — Tout alentour aux balcons, sur le pas des portes, on distingue quantité de grisettes romaines, aux cheveux noirs savamment ondes et retroussés, aux lèvres fines, aux traits réguliers et franchement coupés, au menton fort, au regard fixe. Quelquefois d’une sale et sordide fenêtre sort une de ces belles et redoutables têtes ; on l’a remarquée le matin, et on la retrouve le soir : elle passe ainsi la journée à regarder et à être vue.