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exaltés ou malades. Depuis la chute de la civilisation antique, un grand dérangement s’est fait dans la machine humaine ; l’équilibre primitif des races saines, tel que l’entretenait la vie gymnastique, a disparu. L’homme est devenu plus sensible, et l’énorme augmentation récente de la sécurité et du bien-être n’a fait qu’accroître son mécontentement, ses exigences et ses prétentions. Plus il a, plus il souhaite ; non-seulement ses désirs dépassent sa puissance, mais encore la vague aspiration de son cœur l’emporte au-delà des convoitises de ses sens, des rêves de son imagination et des curiosités de son esprit. C’est l’au-delà qu’il désire, et le tumulte fiévreux des capitales, les excitations de la littérature, l’exagération de la vie sédentaire, artificielle et cérébrale, ne font qu’irriter la souffrance de son désir inassouvi. Depuis quatre-vingts ans, la musique et la poésie s’emploient à étaler la maladie du siècle, et l’encombrement des connaissances, la surcharge de travail, l’immensité de l’effort que comportent la science et la démocratie modernes, semblent plutôt faits pour exaspérer la plaie que pour la guérir. À des âmes si fatiguées et si avides, le charmant quiétisme peut quelquefois sembler un refuge ; nous nous en apercevons chez nos femmes, qui ont nos maux sans avoir nos remèdes. Dans la classe inférieure, parmi les très jeunes filles, au milieu du vide de la province, il peut, par les séductions de sa poésie mondaine et coquette, par son étalage de symboles attendrissans et corporels, gagner beaucoup d’âmes, et peut-être verra-t-on un jour la famille divisée laisser la moitié d’elle-même chercher dans l’amour idéal l’épanchement intime, le rêve amollissant, la délicieuse angoisse que l’amour terrestre ne lui donne point.

Telle est donc la transformation probable et l’on peut dire la transformation présente du catholicisme. Atténuer les rites sauf pour les simples, laisser tomber la métaphysique sauf dans ses écoles, serrer sa hiérarchie administrative et développer ses doctrines sentimentales, c’est ce qu’il fait depuis le concile de Trente. Il semble qu’il doive dorénavant et par excellence parler aux gouvernemens et aux femmes, devenir répressif et mystique, faire des ligues et fonder des sacrés-cœurs, être un parti de politiques et un asile d’âmes malades. Comme le progrès des sciences positives et l’assiette du bien-être industriel empêchent l’exaltation nécessaire à l’établissement d’une religion nouvelle, on ne voit pas de terme à sa durée ; jamais un peuple n’a quitté sa religion que pour une religion différente. On n’aperçoit pour lui à l’horizon qu’une grande crise, et celle-là dans un siècle ou deux, je veux dire l’intervention du nouveau protestantisme. Celui de Luther et de Calvin, rigide et littéral, répugnait aux peuples latins ; celui de Schleiermacher et de Bunsen, adouci, transformé par l’exégèse, accommodé aux besoins