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leurs bagues à Garibaldi pour le jour de sa fête, quel outrage pour saint Joseph, qui a le malheur d’être le patron de ce bandit ! Par compensation, l’Unità demande aux dames leurs bagues pour le pape, car le pape est le chef de l’église, et l’église représente mystiquement un caractère qui doit être très cher aux femmes, la maternité ; cet argument est irrésistible ! — Un autre journal appelle le pape « le grand mendiant (il gran mendico). » — Depuis un mois, je lis la liste des donations inscrites en tête de la première page. Il y en a beaucoup ; on estime que le pape reçoit deux millions de piastres chaque année par cette voie. Ordinairement c’est pour une grâce reçue ou attendue, non pas seulement spirituelle, mais temporelle ; les donateurs, en envoyant leur offrande, réclament la bénédiction du saint-père « pour une affaire importante[1]. » On s’aperçoit qu’il est considéré comme un personnage influent, une sorte de premier ministre dans la cour de Dieu. Souvent même la hiérarchie est marquée nettement ; le suppliant se recommande d’abord à Jésus-Christ auprès de Dieu le père, puis à la Vierge ou à tel autre saint auprès de Jésus-Christ, puis enfin au pape auprès des saints, de la Vierge et de Jésus-Christ. Ce sont les trois degrés de la juridiction céleste ; le pape leur semble un délégué des souverains de l’autre monde, chargé de gouverner celui-ci, muni de pleins pouvoirs ; les communications doivent se faire par son entremise ; il apostille les demandes. L’Italien dévot garde encore les idées que Luther, il y a trois siècles, trouva régnantes ; il précise et humanise toutes les conceptions religieuses ; à ses yeux, Dieu est un roi, et dans toute monarchie on arrive au prince par les ministres, surtout par les parens, les familiers, les domestiques.

Par suite, l’importance de la Vierge devient énorme. Véritablement elle est ici la troisième personne de la Trinité et remplace le Saint-Esprit, qui, n’ayant point de figure corporelle, échappe au peuple. Pour des gens qui n’imaginent les puissances célestes qu’avec un visage, qui peut être plus attrayant et plus miséricordieux qu’une femme ? Et qui peut être plus puissant qu’une femme si aimée auprès d’un fils si bon ? Je viens de feuilleter la Vergine, un recueil de vers et de prose qui se publie toutes les semaines en l’honneur de Marie. Le premier article traite de la visite de la Vierge chez sainte Élisabeth, et du temps probable que dura cette visite ; à la fin est un sonnet sur l’ange, qui, trouvant Marie si charmante, eut quelque peine à s’en retourner au ciel. Je n’ai pas ici le texte, mais je garantis le sens, et un pareil journal se trouve sur la

  1. 23 mars. « La marquise Giulia *** offre au saint-père un anneau d’or avec un ex-voto pour obtenir de saint Joseph une grâce spéciale. » 20 mars. « Un fils qui prie pour la guérison de sa mère offre au saint-père 10 francs et 10 autres francs à la madone de Spolète pour obtenir la grâce demandée. »